Voyage vers l’antique clavecin italien, du Trecento au premier Baroque

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Aquila altera. Jacopo da Bologna (fl 1340-1360) : Non na el so amante ; O ciecho mondo ; Aquila altera. Andrea Antico (c1480-ap 1538) : Per dolor mi bagno el viso ; Occhi miei lassi ; Animoso mio desire ; Le non vuol esser più mia. Franceso Lambardi (c1587-1642) : Toccata. Girolamo Cavazzoni (c1525-ap 1577) : Inno Ave Maris Stella. Antonio Valente (c1520-1580) : Chi la dirra disminuita. Paolo Quagliati (c1555-1628) : Toccata dell’ ottavo tono. Andrea Gabrieli (c1533-1585) : Anchor che col partire. Francesco Landini (c1325-1397) : Che pena è questa. Ercole Pasquini (c1560-ap1608) : Anchor che col partire. Anonyme : Ave Maris Stella. Federica Bianchi, clavicymbalum, clavecin. Janvier 2021. Livret en anglais, français, italien, allemand. TT 39’51. Passacaille PAS 1111

« L’évolution de la musique pour clavier depuis les premières intabulations italiennes de chansons profanes dans le Codex Faenza jusqu’aux derniers représentants de cette tradition dans le sud de l’Italie, pour aboutir finalement à la toccata virtuose à l’aube de l’ère baroque » : ainsi la conclusion du livret résume-t-elle le parcours de cet album, au demeurant étrangement court. Cette notice revient aussi sur l’histoire du clavecin (la première référence connue au clavicembalum remonte à 1397) et le répertoire associé, d’abord apparenté à celui de l’orgue et de l’organetto, qu’il soit monodique puis polyphonique, dérivé de chansons & danses ou du répertoire liturgique.

Le disque convie trois instruments, récentes copies d’anciens. On aurait apprécié qu’ils nous soient décrits, leur facture, leur accordage... Un clavisimbalum confectionné en 2009 d’après le dessin d’Arnaut de Zwolle (c1440) illustre les pièces éloignées (Jacopo da Bologna, Francesco Landini), ornées de diminutions virtuoses, tirées du Codex Faenza, un des plus lointains recueils de clavier, à l’instar du Buxheimer Orgelbuch. Le récital invite aussi un clavecin de 2004 d’inspiration napolitaine (XVIe siècle) pour Antonio Valente et une sélection des Frottole intabulate d’Andrea Antico, séminale collection imprimée à Venise en 1517. Au regard de son projet, dommage que le livret ne reproduise ni ne fasse mention de la page-titre, car la gravure atteste par l’image l’engouement de l’époque pour le clavier, avec quelque malice : on y voit au premier plan un clavecin sur lequel un singe joue du luth, tandis qu’une dame le dédaigne en écartant une partition. Probable allusion à l’éviction d’Ottaviano Petrucci (1466-1539) qui, faute de publier des ouvrages pour clavier, perdit sa patente accordée par le pape.

Le troisième est un Walter Chinaglia (2015) d’après Giusti (1681) : on l’entend pour les pages les plus tardives, dont deux Toccatas (Paolo Quagliati et Francesco Lambardi) et deux élaborations sur le célèbre Anchor che col partire de Cipriano de Rore, écrites par Andrea Gabrieli et Ercole Pasquini. Pour les deux clavecins italiens, les explications du livret contredisent les indications de la page 3 où la distribution des œuvres aux instruments paraît inversée. Autre incongruité : alors que le programme ambitionne un panorama chronologique, on se demande pourquoi il se structure selon un plan qui ne respecte pas cette évolution. La logique nous échappe, sauf à considérer qu’il s’agence librement, au goût de l’interprète. 

Sans trop déroger, des voies complémentaires auraient pu compléter cette succincte anthologie, par travers et par l’aval : des partite sur des airs à la mode (Ascanio Mayone, Giovanni Maria Trabaci), les toccatas de Giovanni Picchi, Tarquinio Merula, Michelangelo Rossi et bien sûr Girolamo Frescobaldi. On classera le présent disque auprès des réalisations de Sophie Yates (Romanesca - Italian Music for Harpsichord, Chandos, août 1996), Siebe Henstra (Toccate, Partite & Passacagli, Ricercar, janvier 1995) et Rinaldo Alessandrini (150 Anni di Musica Italiana, 1550-1700, da Valente a Scarlatti, Opus 111, janvier 1994). Professeur de clavecin au Conservatoire de Venise, spécialisée dans la musique du Moyen-Âge et de la Renaissance depuis une dizaine d’années, Federica Bianchi nous offre en tout cas un florilège pertinent dans sa conception, éminemment maîtrisé dans son exécution : suggestive et précisément dessinée, même si la captation spacieuse mais diffuse tend à encombrer les lignes et embrouiller les passaggi. De vieux élixirs aux herbes oubliées, à savourer au même titre que le récent Key Notes de Corina Marti (Ramée). 

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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