Willem Mengelberg, maître du Concertgebouworkest d’Amsterdam

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Willem Mengelberg - Complete Columbia Concertgebouw Recordings, Volume 1 (1926-31). Œuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Johann Christian Bach (1735-1782), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Hector Berlioz (1803-1869), Luigi Cherubini (1760-1842), Franz Liszt (1811-1886), Felix Mendelssohn (1809-1847), Carl Maria von Weber (1786-1826). Concertgebouworkest d’Amsterdam, direction : Willem Mengelberg. Enregistré entre mai 1926 et juin 1931 en la Grande salle du Concertgebouw d’Amsterdam. Notes techniques de Mark Obert-Thorn. 1 double CD-R Pristine Audio PASC595. Durée : 2 h 33’24.

Willem Mengelberg - Complete Columbia Concertgebouw Recordings, Volume 2 (1926-32). Œuvres de Georges Bizet (1838-1875), Johannes Brahms (1833-1897), Edvard Grieg (1843-1907), Gustav Mahler (1860-1911), Maurice Ravel (1875-1937), Johann Strauss II (1825-1899), Franz von Suppé (1819-1895), Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893), Richard Wagner (1813-1883). Concertgebouworkest d’Amsterdam, direction : Willem Mengelberg. Enregistré entre mai 1926 et mai 1932 en la Grande salle du Concertgebouw d’Amsterdam. Notes techniques de Mark Obert-Thorn. 1 double CD-R Pristine Audio PASC616. Durée : 2 h 18’29.

Willem Mengelberg - Complete Columbia Concertgebouw Tchaïkovski Recordings (1927-1930). Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonies n° 4 en fa mineur, op. 36 et n° 5 en mi mineur, op. 64 ; Roméo et Juliette, ouverture-fantaisie ; Valse de la Sérénade pour cordes en ut majeur, op. 48. Concertgebouworkest d’Amsterdam, direction : Willem Mengelberg. Enregistré entre juin 1927 et mai 1930 en la Grande salle du Concertgebouw d’Amsterdam. Notes techniques de Mark Obert-Thorn. 1 double CD-R Pristine Audio PASC511. Durée : 2 h 8’26.

Cette intégrale des gravures Columbia UK du légendaire chef d’orchestre néerlandais Willem Mengelberg (1871-1951) avait déjà fait l’objet de remarquables transferts de Mark Obert-Thorn dès 1993 pour le défunt label anglais Pearl, avec évidemment les moyens techniques d’époque. Il remet son expertise incomparable sur le chantier pour Pristine Classical avec des résultats actualisés plus éclatants encore : un meilleur équilibre fréquentiel assure une meilleure lisibilité des voix intermédiaires, et confirme qu’entre 1926 et 1932, la Columbia Graphophone Company était techniquement supérieure à ses concurrents, notamment quant au bruit de fond sonore. On a souvent l’impression que ces enregistrements sonnent comme des bandes magnétiques mono des années 50 : il suffit d’écouter la Symphonie n° 3 de Brahms (1932), la Symphonie n° 4 de Tchaïkovski (1929), Les Préludes de Liszt (1929) ou l’Ouverture de Tannhäuser de Wagner (1932) pour en être convaincu.

C’est en 1895 que le chef d’orchestre néerlandais Willem Kes (1856-1934) confie les destinées de l’Orchestre du Concertgebouw au jeune Willem Mengelberg qui y régnera durant cinquante ans comme chef principal, en véritable star aux Pays-Bas, nouant des liens durables avec d’éminents compositeurs tels que Claude Debussy, Gustav Mahler, Richard Strauss et Igor Stravinsky, qui ont tous dirigé plus d’une fois l’illustre orchestre. Toutefois ce n’est pas avec cette phalange que Willem Mengelberg débute sa carrière discographique.

On peut diviser cette carrière en trois périodes : a) les enregistrements américains Victor (acoustiques) d’avril 1922 à avril 1924, Victor (électriques) d’octobre 1925 à janvier 1930, Brunswick de janvier 1926 à janvier 1927, le tout avec le New York Philharmonic-Symphony Orchestra, selon son appellation d’époque ; b) les enregistrements anglais Columbia de mai 1926 à mai 1932 et Decca de juin 1935 avec le Concertgebouworkest ; c) les enregistrements allemands Telefunken de mai 1937 à novembre 1941, toujours avec le Concertgebouworkest. Sans compter, bien sûr, les nombreuses captations radio. Parmi tous ces trésors, les enregistrements de la Columbia anglaise sont d’une importance capitale, car ils constituent les tout premiers témoignages gravés du Concertgebouworkest, sans les outrances que l’on trouve par après ça et là chez Telefunken. En outre ils sont les plus réussis techniquement, étant les seuls 78 tours à respecter la réverbération naturelle qui s’épanouit dans l’imposante salle du Concertgebouw.

De toute évidence, on ne joue plus la musique de Bach comme le fait Mengelberg, avec un style romantique résolument fin 19e siècle ! Si dans la Suite (Ouverture) n° 2 en si mineur BWV 1067 (juin 1931), la flûte solo anonyme prend une place modeste bien intégrée dans l’orchestre, les cordes sont affectées de vibrato et divers portamentos, et le tout est soutenu par le continuo d’un petit orgue lointain et irréel à peine perceptible. L’introduction lente de l’Ouverture proprement dite (sans reprises) ressemble à du Bruckner, tandis que sa seconde partie révèle bien son caractère fugato avec beaucoup de mordant et une base rythmique ferme ; hélas, hormis la célébrissime Badinerie, les diverses pièces aux noms de danses sont bien pesantes face à nos conceptions actuelles… Et pourtant, on sort de l’écoute avec une sorte de fascination hypnotique !…

La belle Ouverture Anacréon de Cherubini (juin 1927), un temps très populaire et de nos jours injustement délaissée, trouve en Mengelberg l’interprète idéal et chaleureux par la fluidité, la légèreté qu’il y insuffle, mais c’est surtout dans les œuvres de Beethoven, Brahms, Liszt, Tchaïkovski, Wagner et Weber qu’il se révèle vraiment : il y restitue tantôt le sentiment tragique et parfois même angoissé, tantôt la tendresse grave de ces pages ; les contrastes sont affirmés avec puissance sans être ostentatoires pour autant, et l’interprétation est constamment nourrie par un lyrisme dense et chaleureux, lucidement contrôlé.

Il est étonnant d’affirmer que Les Préludes de Liszt (juin 1929) restent une référence sous la baguette de Mengelberg lorsque l’on considère la date de l’enregistrement ! Et pourtant… Interprétation fougueuse poussée au paroxysme du romantisme, toutefois comme rarement parfaitement contrôlée. L’Orchestre du Concertgebouw idéalement capté sur cire brille de tous ses feux. Ici se trouve le plus bel exemple de quasi improvisando maîtrisé si typique de Mengelberg : l’imperceptible rubato du « thème d’amour » espressivo ma tranquillo mesures 70 et suivantes, et ses réapparitions crescendo avant la coda en apothéose. De même, l’Ouverture de Tannhäuser (mai 1932) semble le digne pendant des Préludes de Liszt du point de vue qualités interprétatives de Mengelberg, rehaussées ici de l’une des meilleures prises de son de la série.

La Symphonie n° 3 en fa majeur op. 90 de Brahms (mai 1932) voit la reprise de l’exposition du premier mouvement respectée, geste unique dans l’histoire du 78 tours, à mettre en parallèle avec celle de la Symphonie n° 3 « Eroica » de Beethoven enregistrée à New York en janvier 1930. Les Symphonies n° 4 en fa mineur op. 36 (juin 1929) et n° 5 en mi mineur op. 64 (mai 1928), ainsi que l’Ouverture-fantaisie Roméo et Juliette (mai 1930) de Tchaïkovski sont l’objet de soins attentifs de la part de Mengelberg qui appréciait particulièrement la musique du compositeur russe. Toutefois le Finale de la Symphonie n° 5, amputé de deux sections (mesures 210 à 315 du développement, et 472 à 489 de la coda), discrédite sérieusement cette interprétation, bien qu’à l’époque de Mengelberg, c’était pratique courante…

Enfin, grand ami et avocat pionnier de Gustav Mahler, Mengelberg de manière frustrante ne nous laisse en enregistrement studio qu’un Adagietto de la Symphonie n° 5 en do dièse mineur (mai 1926) loin d’être Sehr langsam (7’15 !), sans doute dû aux contraintes de durée du disque 78 tours, mais suffisant pour révéler l’aspect improvisando et passionné d’une interprétation passionnante.

Son : 8 (historique 78 tours) - Livret : 9 (Mark Obert-Thorn) - Répertoire : 10 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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