Ysaÿe en sonates et en première mondiale avec Noé Inui

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Eugène Ysaÿe (1858-1931) : Six Sonates pour violon op. 27 ; Etude-Poème pour violon et piano op. 9 (premier enregistrement mondial). Noé Inui, violon et Mario Häring, piano. 2019. Livret en allemand, en anglais, en français et en japonais. 67.56. ArS 38 269. SACD.

Le jeudi 23 mai 1963, la Fondation Eugène Ysaÿe et la Discothèque Nationale de Belgique organisaient une réception à l’occasion de la présentation officielle de la deuxième série des Echos du Souvenir, un disque 33 Tours comportant des enregistrements originaux d’Eugène Ysaÿe gravés en 1912 (Kreisler, Wagner, Wieniawski, Fauré et Chabrier), ainsi qu’Extase d’Ysaÿe, joué par Oïstrakh et Yampolsky au piano. Ce microsillon est devenu un objet de collection. Il était complété par la Sonate n° 3 pour violon seul opus 27 d’Ysaÿe, interprétée par Lola Bobesco. En introduction à sa prestation, cette magnifique artiste faisait la déclaration orale suivante : « Avant d’interpréter la Troisième Sonate d’Ysaÿe, qu’il me soit permis d’apporter un hommage parmi tant d’autres à la mémoire de notre maître à tous. Je forme le vœu que les violonistes de demain comprennent l’importance et apprécient la richesse du message tant violonistique que musical laissé si généreusement par le grand Ysaÿe. Je souhaiterais que les six Sonates pour violon seul d’Ysaÿe figurent au répertoire des jeunes virtuoses au même titre que les sonates et partitas de Bach. » 

Nombreux sont ceux qui ont concrétisé le vœu émis par l’une des plus grandes violonistes du XXe siècle. Et non des moindres : Lydia Mordkovitch, Gidon Kremer, Tedi Papavrami, Thomas Zehetmair, Kristof Bardi, Tai Murray, Tianja Wang… Aujourd’hui, c’est Noé Inui, né à Bruxelles de mère grecque et de père japonais, qui s’y attarde. Agé de 34 ans, Inui a suivi les cours aux Conservatoires de Bruxelles et de Paris avant de parfaire son enseignement aux Hautes Ecoles de Musique de Karlsruhe et de Düsseldorf. Parmi ses professeurs, on trouve Olivier Charlier ou Ulf Hoelscher. En 2005, il joue en Argentine avec Martha Argerich ; il fait ses débuts à New York en 2011 après avoir remporté le Concours Young Concert Artists. Il enseigne maintenant à la Schumann Musikhochschule de Düsseldorf. Dans le livret du CD, Noé Inui précise qu’il a acquis à Bruxelles ses bases techniques instrumentales « dans la lignée d’Ysaÿe (par l’intermédiaire de Jacques Dupriez et Carlo Van Neste) ». Il signale aussi un détail plus anecdotique, mais qui a pour lui valeur de symbole : sa date de naissance est le 16 juillet 1985. Ysaÿe est né un 16 juillet également, en 1858. « Cette inversion des chiffres 58 - 85 à un siècle près me fait presque croire au destin qui me relie à « Eugène le Magnifique », selon l’expression de Mathieu Crickboom. » Inui conclut en disant que l’enregistrement effectué en novembre 2018 au Kulturzentrum Immanuel de Wuppertal est un hommage à Ysaÿe à l’occasion des 160 ans de sa naissance ; pour cette occasion, il a pu bénéficier du prêt d’un archet Sartory offert à la Reine Elisabeth en 1929 par Ysaÿe.

Monument de la technique moderne du violon, les six Sonates pour violon seul opus 27 d’Ysaÿe auraient été esquissées en vingt-quatre heures en 1923 lors d’un séjour d’été dans sa villa du Zoute, revues et mises au point dans les jours qui suivirent, et publiées en 1924. Si l’exemple et l’influence de Bach y sont manifestes, la portée technique « puise sa base dans la polyphonie. C’est, si l’on veut, la technique de l’accord, de l’arpège, de la double, triple, quadruple corde, rendant deux, trois, quatre, cinq et parfois six sons simultanés ou quasi-simultanés. Tout cela mis au service d’une pensée musicale libre, fantaisiste et, disons le mot, rhapsodique. » (Antoine Ysaÿe : Eugène Ysaÿe, Bruxelles, L’Ecran du monde ; Paris, Les deux Sirènes, non daté (1947), p. 414).

Noé Inui s’est complètement investi dans son interprétation. On sent qu’il a une passion généreuse pour ces partitions et qu’il les a beaucoup travaillées, « en se libérant de tout conformisme » selon son expression. Il ne cherche pas une virtuosité pure mais tend à contrôler un geste et une pensée dynamiques, avec énergie mais aussi dans le souci du chant, de la force engagée et du lyrisme déployé avec goût. A cet égard, la Sonate n° 3 (dédiée à Enesco) -à laquelle nous faisions allusion en citant Lola Bobesco- est d’une sonorité pleine et imaginative. Nous sommes face à une traduction qui possède plein de qualités qui retiennent l’attention, parmi lesquelles le contrôle de la puissance et du rythme. Inui livre son message personnel des six sonates et convainc par l’omniprésence d’une maîtrise qui le place au rang des versions à retenir parmi les références modernes.

Le programme est complété par une première mondiale ; il s’agit d’une partition d’un peu plus de quatre minutes, composée entre juin 1900 et septembre 1901, l’Etude-Poème en sol mineur opus 9, qui sera reprise par Ysaÿe en 1914 avec des modifications. C’est Marie Cornaz, de la Section Musique de la Bibliothèque Royale de Belgique, qui a attiré l’attention d’Inui sur cette pièce inédite, connue, selon les explications de la spécialiste, « grâce à des copies tardives parmi lesquelles l’unique partition conservée à la section de la Musique de la Bibliothèque de Belgique ». Pour ce bel ajout lyrique, un Allegretto poco scherzando, Noé Inui est accompagné par le pianiste allemand Mario Häring, son partenaire en 2016 pour le CD consacré à Janacek, Szymanowski, Schulhoff et Debussy chez le même éditeur. 

Son : 9  Livret : 9    Répertoire : 10   Interprétation : 9

   

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