Zoroastre resplendit au Théâtre des Champs Elysées Jean-Philippe Rameau

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Au terme des cinq actes de Zoroaste, quatrième tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, une vibrante ovation s’élève sous la coupole de Maurice Denis tandis que la reprise du choeur « Douce paix, régnez dans le monde » parachève trois heures de ravissement.

L’intrigue se présente de manière assez linéaire. Le triomphe du Bien est acquis par principe si bien que ce sont l’affrontement de puissances contraires, l’ingéniosité des méchants, les épreuves, la manière de les traverser qui vont susciter l’intérêt. Cette « Guerre des Etoiles » du 18e. Siècle s’inscrit dans la lignée des tragédies lyriques de Lully, quelques monstres, chevaux ailés et machineries en moins. Quelques ballets en plus, aussi, car Rameau aime autant la danse (si c’est possible) que son illustre devancier. Dans leur sillage, Mozart secondé par Schikaneder empruntera à Cadmus et Hermione autant qu’à Zoroastre pour son Singspiel La Flûte enchantée.

La métaphysique latente reflète les préoccupations contemporaines : l’influence des Encyclopédistes comme celle de la franc-maçonnerie importée en France par la Cour de Jacques II Stuart exilée à Saint Germain en Laye. Et cette version de concert privée des ballets, décors, costumes et scénographie indissociables de l’oeuvre -comme le montrent les expositions Molière à la BNF et Opéra Garnier- en souligne l’ossature.

Dans l’obscurité des enfers, Abramane (dont le nom rappelle celui d’Abraham) exhorte le mal : « Cruels tyrans qui régnez dans mon cœur / Impitoyable haine, implacable vengeance/ Des remords dévorants épargnez moi l’horreur/ Ou cédez à leur violence » (début de l’ acte IV).

En opposition symétrique, le libérateur de la reine Améline s’identifie au sacré et ne doutera point.

Entre les deux : Rameau. A lui revient la tâche d’habiter de son génie l’espace intermédiaire des combats, de l’émotion, de l’humanité. Sa fougue, sa fraicheur d’âme, une palette aux teintes acidulées ombrées parfois d’une légère mélancolie, donnent ainsi naissance à un univers bouillonnant propice à l’imagination.

La noirceur se veloute, l’imprécation se fait plainte, si bien que l’on compatit aux déchirements dAbramane comme à ceux de la reine déchue, Erinice, tandis que l’hymne au soleil prend les allures d’une humble pastorale, naïve et fraîche.

Maints « Airs tendres », la réminiscence de « la Livri » à l’orchestre ou encore ce duo de commencement du monde entre Matthias Vidal (Abénis) et Gwendoline Blondeel (Cénide) -A. II sc. 2- réalisent l’idéal jubilatoire de l’opéra baroque, l’harmonie des contraires.

Le chef Alexis Kossenko -lui aussi habité par la danse !- a longuement médité et préparé effectifs d’époque, dispositions et instruments. L’orchestre Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie sonne généreux et délicat où les flûtes rivalisent avec la fluidité des cordes, où la saveur bucolique des cuivres et vents se pimente de ces fameuses clarinettes de facture française appelées à un bel avenir dans l’opéra.

Le Chœur de chambre de Namur se fond dans un tissu sonore complètement homogène. Familière de cette version d’origine, datée de 1749, la distribution séduit à tous les niveaux. Chacun excelle, transformant ses faiblesses en forces. Véronique Gens prête sa grande classe au rôle restreint d’Erinice, Tassis Christoyannis (Abramane) rend presque touchant son héros maléfique grâce au moelleux du timbre et à la souplesse de la ligne de chant.

Jodie Devos, cantonnée dans la déploration, offre à la princesse captive Amélite la suavité de son legato et le brillant de ses aigus, en particulier dans le rare « Règne, Amour » qui fut supprimé dans la version de 1756, tandis que Zoroastre trouve dans le charisme naturel du ténor Reinoud Van Mechelen une incarnation vocale d’une noblesse, d’une plénitude et d’une maîtrise rayonnantes... en parfaite osmose avec le culte qu’il représente.

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Théâtre des Champs Elysées, le 16 octobre 2022

Crédits photographiques : DR



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