La magie éblouissante de la musique de Zelenka

par
Zelenka

Jan Dismas ZELENKA
(1679 - 1745)
Missa Divi Xaverii ZWV 12-Litaniae de Sancto Xaverio ZWV 156
Collegium 1704-Collegium Vocale 1704-dir.: Vaclav LUKS
2016-DDD-71'01-Textes de présentation en anglais, français, allemand et tchèque-Accent ACC 24301

Cette nouvelle parution nous permet de souligner l'importance de l'extraordinaire compositeur que fut Jan Dismas Zelenka. Ses 27 messes, dont quatre Requiem, constituent sans doute la clé de voûte de son remarquable corpus, un ensemble que l'on découvre peu à peu car la plupart de ces opus ont déjà été enregistrés, parfois à plusieurs reprises. La Messe de Saint-François Xavier a comme première caractéristique de présenter l'un des plus grands effectifs jamais rassemblés par le Bohémien: quatre solistes et choeur à quatre voix, quatre trompettes, timbales, deux flûtes, deux hautbois, basson, cordes et basse continue. Tous s'accorderont à reconnaître, comme le dit l'auteur de la notice, qu'il s'agit là de l'une des réalisations les plus somptueuses sorties de sa plume. De prime abord, le parallèle avec la musique la plus festive de Haendel saute aux yeux, non seulement par l'exubérance et la vitalité inimaginables de ces pages magnifiques mais aussi par certaines particularités de composition et, surtout, par la puissance évocatrice et l'inspiration assez phénoménale qui traverse la partition de bout en bout, des qualités qui nous rendent justement si cher à notre coeur le généreux Saxon. Une passion inextinguible anime chaque détour, y compris les passages solistes, moins directement spectaculaires. Comment expliquer à la fois ce climat festif et fervent et une telle excellence? Zelenka l'écrite en 1729: il a donc la cinquantaine et a atteint une maturité épanouie et décomplexée; le duo soprano - alto accompagné par les guirlandes des deux flûtes dans la deuxième partie du Domine Deus, par exemple, témoigne de cette infinie aisance. D'autre part, son prédécesseur à Dresde, l'excellent Johann David Heinichen, venait de mourir et on peut imaginer que le Bohémien, suppléant du maître depuis plusieurs années, ait voulu donner un coup de pouce au destin pour briguer le poste devenu vacant, tout en donnant une démonstration éblouissante de son art. Enfin, François Xavier était était reconnu comme le saint personnel de l'archiduchesse Marie-Josèphe de Habsbourg, belle-fille d'Auguste II le Fort et épouse du prince héritier de Saxe. La situation dynastique de la famille régnante était délicate: un fils aîné mort de la variole dans le courant de l'année 1728, la naissance d'une fille, donc non éligible, plus tard dans l'année, ne laissant comme seul descendant légitime que le prince Friedrich Christian, atteint de rachitisme et de santé fragile. Cette succession d'événements poussa l'archiduchesse à de nombreuses manifestations exceptionnelles de dévotion chrétienne dans lesquelles s'inscrit la présente messe. On peut penser que Zelenka a pu croire que l'excellence de sa musique ait pu séduire la « Bienveillance Divine » car, neuf mois à peine après la fête du saint, à l'occasion de laquelle la messe fut entendue, Marie-Josèphe donnait naissance à un fils... L'histoire récente de l'oeuvre apporte aussi son lot d'anecdotes: si le manuscrit complet nous est parvenu intact, les parties séparées, elles, furent perdues lors de l'absurde et inutile bombardement de Dresde en février 1945. Or l'écriture au crayon du bouillonnant compositeur est par endroits quasiment illisible et la partition elle-même est gravement endommagée. Une reconstruction fut donc nécessaire, aidée par la redécouverte inattendue de trois copies incomplètes de l'ouvrage, « empruntées » par l'armée rouge à la fin de la guerre et conservées à Kiev jusqu'à leur restitution à l'Allemagne en 2011: une bien tumultueuse aventure pour une oeuvre extraordinaire. Le disque est très logiquement complété par une autre page étonnante: des litanies sur des textes du même Saint François Xavier où l'on retrouve cette vigueur et ce tourbillonnement ininterrompu d'idées originales, à en donner le tournis! L'interprétation est de toute beauté et les artistes semblent littéralement transportés par la ferveur et la force de la musique. Un disque incontournable pour tout vrai amateur et l'entrée en matière idéale pour découvrir l'univers étonnant et exceptionnel de ce grand maître qui, décidément, n'a rien à envier à son illustre confrère et son Messie. Du très grand art.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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