Un chef-d'oeuvre à découvrir !

par

Jean-Marie LECLAIR
(1697-1764)
Scylla & Glaucus
Emöke Barath (Scylla), Anders J. Dahlin (Glaucus), Caroline Mutel (Circé), Les Nouveaux Caractères, dir. Sébastien D’Hérin
2015 – 159’48’’ – Texte d’introduction en français, anglais et allemand – livret en français et anglais – Alpha 960

Si Jean-Marie Leclair a laissé son nom dans l’histoire de la musique c’est sans aucun doute en tant que représentant le plus illustre de l’école française de violon. Son œuvre en témoigne à l’envi puisque ses nombreuses sonates et concertos pour violon représentent, au milieu du 18ème siècle, le meilleur de la production française dans ce domaine. De ce catalogue, n’émerge qu’un seul opus totalement différent, à savoir une tragédie lyrique inspirée des Métamorphoses d’Ovide, et intitulée Scylla & Glaucus. Le rapprochement de Leclair avec l’Académie Royale de Musique semble avoir été relativement fugace, au retour du compositeur d’un long séjour aux Pays-Bas qui lui avait notamment donné l’occasion de rencontrer le célèbre Locatelli. De retour à Paris en 1743, Leclair se voit donc confier tout d’abord un travail de réécriture partielle de La Provençale de Mouret, puis la création de Scylla & Glaucus, sur un livret d’Albaret. Créée à l’automne 1746, l’œuvre ne tiendra pas longtemps l’affiche et ne sera jamais reprise. Elle est longtemps restée dans l’oubli jusqu’à ce que John-Eliot Gardiner en propose une production scénique (Opéra de Lyon) et un premier enregistrement en 1986 (Erato), révélant au passage une partition qui mérite bien plus qu’un simple intérêt musicologique. Depuis lors, rien de très concret en-dehors d’une reprise en concert dirigée par Christophe Rousset, qui n’a pas fait l’objet d’une publication discographique.
Cette nouvelle production est donc la bienvenue, d’autant qu’elle nous permet de redécouvrir une partition effectivement passionnante, parcourue d’un véritable souffle symphonique et illuminée par quelques scènes d’anthologie dont Leclair sait visiblement tirer tout le potentiel à la fois descriptif et dramatique. Jouant à merveille sur tous les registres (tragique, spectaculaire et même fantastique), l’œuvre est moderne et originale jusque dans son dénouement, qui voit Circé triompher en enchanteresse jalouse. L’absence d’un happy end a peut-être contribué à l’échec de l’œuvre, créée à une époque où il est de coutume de se montrer plus optimiste et plus consensuel… Pourtant, disons-le avec force, le compositeur se met ici au niveau de Rameau, et ce n’est pas peu dire.
D’où vient alors la déception qui se fait jour au fil de l’écoute ? Elle ne trouve certes pas son origine dans le travail de Sébastien D’Hérin, qui combine avec intelligence et sensibilité les vertus de l’analyse fine et du geste impérieux. Beaucoup de bien à dire également de la prestation de l’orchestre, peut-être un peu moins superbement brillant que les English Baroque Soloists de Gardiner, mais plus souple, plus réactif (superbes danses !), plus aéré. Il n’en est malheureusement pas de même en ce qui concerne le chœur, dont la prestation est irrégulière (manque d’homogénéité et de précision). Le problème principal vient davantage encore des solistes. On sait à quel point une excellente diction est essentielle pour rendre toutes les subtilités d’une telle partition. Dans ce cadre, on ne peut que rester perplexe quant au choix d’Emöke Barath pour le rôle de Scylla. La soprano hongroise possède certes un timbre assez séduisant, mais son français reste exotique. Dans le formidable rôle de Circé, Caroline Mutel semble assez rapidement atteindre ses limites. Peu de mordant, une diction parfois aléatoire, des aigus difficiles… impossible dans ce cas d’espérer approcher la prestation éloquente et vibrante d’émotion de Rachel Yakar (version Gardiner). Quant à la prestation d’Anders J. Dahlin en Glaucus, elle joue la carte de l’élégance de style, bien aidée par des aigus lumineux et déliés. Des trois solistes principaux il s’avère le plus crédible, sans toutefois atteindre la délicate sensualité d’Howard Crook chez Gardiner.
Inutile, cette nouvelle version ne l’est certainement pas, car elle nous rappelle l’existence d’un pur chef-d’œuvre encore injustement méconnu, et elle met bien en valeur le travail remarquablement coloré, contrasté et dynamique de l’orchestre et de son chef. Le plateau vocal n’est malheureusement pas du même tonneau, de sorte que nous voilà privés de ce qui a bien failli être la version moderne de référence d’une œuvre qui le mérite ô combien.
Jean-Marie Marchal

Son 9 – Livret 9 - Répertoire 10 – Interprétation 7

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