Pelléas et Mélisande cent ans après: études et documents

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Ouvrage coordonné par Jean-Christophe Branger, Sylvie Douche et Denis Herlin*
Alors que la reprise de Pelléas et Mélisande dans la mise en scène de Pierre Audi et les décors de Anisch Kapoor connaît aujourd'hui un beau succès à La Monnaie, les Editions Symétrie, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, très actifs dans la mise en valeur de la musique romantique française, nous proposent une "somme" consacrée à cet opéra "qui ne sera jamais populaire" (P. Boulez, 2006) mais fera couler beaucoup d'encre dans les milieux professionnels.
Ainsi, une annexe de 211 pages réunit les articles parus dans la presse de 1902 à 1903 et consacrées à ce seul opéra qui fit passer Charles Koechlin du salon à la modernité, devenu debussyste convaincu et Pelléas ne manquera pas d'influencer ses oeuvres futures bien qu'il ait toujours tenu à garder ses distances. Pourquoi le texte de Maeterlinck inspira-t-il également Richard Strauss qui refila l'idée à Schoenberg? De l'opéra qu'il ne connaissait pas, ce dernier fit un poème symphonique. Pelléas intéressa aussi les compositeurs polonais; Szymanowski et ses disciples ne manquèrent pas de partager leurs points de vue sur l'oeuvre et, en 1926, Maurice Emmanuel lui consacra sa première monographie. Plus près de nous, Marius Constant réalisa une Pelléas et Mélisande Symphonie créée en 1983 et Impressions de Pelléas créé en 1992, tous deux à Paris et analysés ici.
L'ouvrage de plus de 600 pages constitue un réel joyau pour qui s'intéresse à cette oeuvre-phare, point de départ de la musique du XXe siècle. Sa préface reprend un entretien avec Pierre Boulez l'analyste, le compositeur, le chef et le musicographe. Viennent ensuite les propos de compositeurs et la voie qui mène de Rodrigue à Pelleas -Rodrigue créé à Lyon en 1993 seulement répond à une curiosité musicologique plus qu'à un réel plaisir musical. Mais comme le dit le sage Arkel à la scène II du 5e Acte de Pelléas, "Il n'arrive peut-être pas d'événement inutile".  Un autre chapitre est consacré au manuscrit Koch de Pelléas, le plus important manuscrit existant, conservé à la Bibliothèque de l'Université de Yale. Comme on le sait, Pelléas fut créé à l'Opéra Comique en avril 1902 dans la mise en scène d'Albert Carré, directeur du théâtre qui cherchait à "dépoussiérer" les mises en scène dans le souci de faire de l'opéra quelque chose de nouveau, et sous la direction d'André Messager. Aux chroniqueurs de l'époque qui fustigeaient la création, Debussy répondait :"Comment peuvent-ils juger en une heure une oeuvre que j'ai mis douze ans à écrire". Douze ans? Un peu exagéré, nous dit l'auteur. Le tumulte qu'elle suscita alors, et qui continua en sourdine jusqu'à aujourd'hui n'a pas manqué de retenir l'attention des auteurs du monumental ouvrage qu'ils nous proposent.
Une partie de l'"opus" est consacré au geste compositionnel de Debussy, aux moyens dont il disposait aux plans de la dramaturgie, de la conduite vocale et mélodique, de l'harmonie et de l'orchestration. Il nous dit aussi ce que Debussy ne voulait pas: refaire du Wagner, tomber dans les arcanes de la tradition, utiliser un vocabulaire et une écriture stéréotypés. Pas de mélodie chez Debussy? Il faut y voir une "mélodie dramatique", c'est-à-dire liée à l'action. Mais Le Rêve d'Alfred Bruneau ne serait-il pas un opéra pré-debussyste? s'interroge Jean-Christophe Branger, un des auteurs. Tombé aujourd'hui dans l'oubli, il faisait à l'époque l'admiration et l'enthousiasme de ses pairs, Koechlin, Dukas, Milhaud, Chabrier, Ravel, Mahler, Richard Strauss et... Debussy. Ce ne sera pas pour déplaire à notre collègue Bruno Peeters ! L'oeuvre de Bruneau est largement commentée ici.
Outre l'annexe déjà évoquée, on trouve encore le carnet de notes de Maurice Emmanuel au sujet des échanges entre Debussy et Guiraud, professeur au Conservatoire qui eut une forte influence sur Debussy et ses contemporains; une chronologie détaillée de l'élaboration de l'opéra depuis sa conception jusqu'à sa création; la liste des représentations de Pelléas à l'Opéra Comique, dans le reste de la France et à l'étranger du vivant de Debussy (il a été créé à La Monnaie de Bruxelles en février et mars 1907). Une riche bibliographie de douze pages complète l'ensemble, ainsi qu'un index des oeuvres et des personnes.
Indispensable à tout debussyste et aux amoureux de cette période bouillonnante de l'histoire de la musique.

Bernadette Beyne
2012, Editions Symétrie & Palazzetto Bru Zane, 609 pages, 64 €

*Avec la participation de Joseph-Marc Bailbé, Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Jean-Christophe Branger, Aude Caillet, Sylvie Douche, Beat A. Föllmi, Vincent Giroud, Christian Goubault, David A. Grayson, Denis Herlin, Barbara L. Kelly, Annie Labussière, Richard Langham Smith, Roger Nichols et Renata Suchowiejko

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