La communauté culturelle lituanienne manifeste au son de la musique de Mikalojus Konstantinas Čiurlionis
À chaque nomination d’une nouvelle équipe gouvernementale, on assiste à une distribution de portefeuilles qui contrarie, surprend, déçoit parfois. Mais pour que les citoyens se joignent dans toutes les villes dans une manifestation et une grève contre la nomination d’un ministre de la Culture, le gouvernement doit avoir commis une importante erreur.
Destination : la Lituanie – l’un des trois pays baltes, le mur démocratique protégeant l’Europe de son voisin expansif et agressif.
Le 5 octobre dernier, les Lituaniens sont sortis dans les rues pour manifester contre la décision du gouvernement de confier la direction de la culture à un parti populiste, nationaliste, pro-russe et sans aucune compétence en matière de culture comme l’a montré la première allocution du ministre fraîchement nommé.
Le mouvement de contestation a été initié par une assemblée réunissant les artistes, les travailleurs culturels et les citoyens. Rappelant le mouvement Sąjūdis qui a mené la lutte pour l’indépendance de la Lituanie à la fin des années 1980 et au début des années 1990, il s’est distingué tout de suite par son ampleur et le nombre de participants élevé en Lituanie et à l’étranger. Il est soutenu par plus d’une centaine d’organisations et d’institutions — opéras nationaux, orchestres, musées, associations, etc. — pour la plupart dépendantes du financement et des directives du ministère de la Culture.
En France, la communauté des créateurs lituaniens s’est également jointe au mouvement. Dans son message publié sur les réseaux sociaux, elle a rappelé qu’après avoir souligné l’importance et la valeur de la culture lituanienne lors de la saison culturelle de la Lituanie en France en automne 2024, le président de la République Gitanas Nausėda a permis, à peine un an après, de confier le ministère de la Culture à un parti populiste et agissant contre les intérêts du pays. Une lettre signée par les artistes lituaniens en France a également été adressé au président de la République et à son gouvernement.
Le dimanche 5 octobre dernier, les grévistes sont sortis dans les rues pour défiler et pour écouter le poème symphonique Jūra (La Mer) du compositeur lituanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis (1875-1911) et dont la musique est devenue l’hymne du mouvement. L’enregistrement de Jūra par Mirga Gražinytė-Tyla, la célèbre cheffe d’orchestre lituanienne, a été retransmis par les haut-parleurs partout en Lituanie et à l’étranger simultanément à 14h, heure de Lituanie. La pièce a également été donnée en concert, lors d’événements organisés pour l’occasion par de grands orchestres lituaniens à Vilnius et à Klaipėda.
Même si le Président de la République n’ignore pas l’existence du mouvement, le gouvernement semble attendre pour que les manifestants, appelés les « criards incultivés » par le chef du parti NA, se calment et finissent par s’habituer à cet arrangement politique.
En attendant, les drapeaux de l’Ukraine ont momentanément disparu du ministère de la Culture avant de réapparaître quelques jours plus tard. Est-ce un signe annonciateur de la future politique défendue ?
Le jour d’après, quel sera l’avenir de la culture libre, démocratique et autonome en Lituanie ?
L’enregistrement de Jūra (la Mer) du compositeur lituanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis, l’hymne du mouvement de protestation, peut être écouté dans le disque Back to Nature, sorti le 19 septembre 2025 chez Deutsche Grammophon (Catalog No. 4867761).
Gabriele Slizyte
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