Veillée funèbre pour le marché du disque ? 

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Un récent  événement du business de la musique a fait l’effet d’un choc : le site de Norman Lebrecht a annoncé, sur base du registre des sociétés britanniques, que le label Hyperion Records a été vendu à Universal Music,  un rachat discret sans le tambour des communiqués de presse. 

Un peu d’histoire pour commencer. Fondé en 1980 par Ted Perry, Hyperion Records est l’un des labels indépendants les plus réputés. Profitant du développement du CD et de l’affirmation des labels indépendants (comme Chandos, Harmonia Mundi, Alpha, Naïve, Opus 111, Ricercar), Hyperion s’était imposé par des choix de répertoires originaux car sortant des sentiers battus, que ce soit dans l’univers de la musique médiévale avec le célèbre album A Feather on the Breath of God  consacré à des oeuvres de Hildegarde von Bingen ou l’incroyable série dédiée aux concertos pour pianos oubliés de l’époque romantique (85 volumes actuellement). La stupéfiante intégrale de l'œuvre pianistique de Liszt en 98 disques avec Leslie Howard, c’est également Hyperion. Multi-primé, ce label incarnait l’excellence du label indépendant parvenant contre vents et marées à garder le cap d’une exigence éditoriale loin des sirènes d’un marché basé sur le star system et le crossover. Ajoutez à ce rachat la récente prise de participation d’Universal Music au capital de PIAS, propriétaire d’Harmonia Mundi : le business model historique d’un label indépendant, soit vendre des disques pour en tirer des revenus et réinvestir les bénéfices, n’est plus possible dans l’état actuel du marché.     

  • Un marché atone et peu rétributeur 

L’évolution numérique du marché de l’enregistrement a été le clou de cercueil du modèle de nombre de labels classiques. La chute vertigineuse des ventes physiques n'a pas été compensée, en termes de revenus, par la consommation numérique. Cette dernière s’est rapidement portée vers le peu rémunérateur streaming, au détriment du téléchargement payant qui aurait pu compenser et compléter la baisse des ventes d’albums physiques. Les revenus issus du streaming sont très faibles et seule une masse de titres sur le marché peut permettre de générer quelques recettes à peine convenables… Les récents rachats et la concentration qui en découle, croisés à la mode des playlists, sont des tentatives de courir après le volume avec en ligne de mire les “réussites” de la pop music. Mais ne nous y trompons pas, le streaming reste globalement un marché de dupes car la quantité souvent impressionnante des écoutes à travers le monde ne génère que des revenus infra misérables en ratios. De plus, les sous-marchés de niche du classique que sont par exemple le médiéval ou la musique contemporaine savante (pas la soupe sirupeuse easy listening que l’on tente de nous présenter comme telle) sortent plutôt esseulés du streaming qui ne leur offre que peu de perspectives. Même les tentatives de réorganiser les rétributions par le “user centric” basé sur la consommation réelle de musique sur les plateformes, face au “data centric” qui favorise les types de musiques dominants (électro, rap….), ne semblent qu’un vœu pieux et éthique dont les conséquences seront sans doute mineures sur les chiffres d'affaires. 

Vous nous direz qu’il n’y a jamais eu autant de parutions ? Certes, et Crescendo Magazine est chaque mois submergé de nouveaux titres, mais ne nous y trompons pas. Les coûts de production de ces parutions sont payés en amont, que ce soit par des institutions, des fondations, des mécènes, des financements participatifs ou par les artistes depuis leurs propres deniers. Les labels sont ainsi devenus des prestataires de service qui récupèrent des masters finalisés pour les commercialiser ; des subventions et autres aides leur permettent de couvrir une partie des frais de mise en vente physique et numérique.  Il y en a pour toutes les bourses et les envies de prestige des artistes. Cet état de la situation est souvent assez tabou dans le milieu de la musique. Qu’un musicien paye pour être édité apparaît comme un peu honteux à l’image de la Formule 1 où les pilotes payants pour leurs baquets se font facilement regarder avec dédain.  Dans ce cadre, un label indépendant, avec un choix éditorial fort, ne peut pas survivre.     

  • Quelles solutions ? 

Pourtant, l’enregistrement reste le vecteur de développement artistique et de promotion des artistes, que ce soit des solistes, des formations de chambre ou des orchestres. A ce titre, il faut saluer les initiatives qui tentent de créer un nouveau modèle économique. Ainsi, les NFT pourraient être une perspective intéressante. Certes les NFT jouissent encore d’une réputation sulfureuse, mais il faut considérer les portes qu’elles ouvrent en termes de collectibles de l’univers d’un artiste en incitant les mélomanes à acquérir via ce vecteur numérique des exclusivités et des contenus.  Mais c’est une petite révolution mentale dans le milieu de la musique classique, toujours très conservateur. Créer, développer et fédérer une communauté seront des enjeux majeurs de la formation des jeunes musiciens afin de les amener à comprendre tous les enjeux. Il est évident que nous en sommes aux balbutiements des implications possibles des NFT  mais dans un marché aussi dévasté, toute piste est une opportunité.  

Pierre Jean Tribot

   

 

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