Hommages à Michelle Debra
La rédaction de Crescendo Magazine rend hommage à Michelle Debra, sa cofondatrice, avec la publication de ces témoignages.
Nous sommes le 16 juin 2012, le Conservatoire Royal de Bruxelles où je poursuis mes études, envoie un courrier à l’ensemble des étudiants pour annoncer un appel à candidatures : « Un défi à relever, l’occasion de partager… ! Crescendo recherche des collaborateurs(trices) à la rédaction… ». Aussitôt reçu, ce courrier éveille ma curiosité et me pousse à poser immédiatement quelques questions à Bernadette Beyne, alors Rédactrice en chef. La réponse arrive sans tarder : «n’hésitez pas à nous adresser vos questions, nous y répondrons bien volontiers et le plus rapidement possible ». Puis, c’est autour de Michelle Debra de m’écrire, suite à l’envoi de mon dossier, m’expliquant très simplement que ma candidature a retenu positivement leur attention et qu’elles souhaitent me rencontrer. Cela semble anecdotique, mais en réalité, ce premier échange de mails fut le point de départ d’une amitié de plus de 10 ans, avec ce sentiment d’avoir en face de soi des personnes bienveillantes, respectueuses et jamais dans l’excès.
Il faudra néanmoins attendre le 17 août pour rencontrer ce duo infatigable. Dès mon arrivée, je suis frappé par l’accueil si chaleureux, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Et alors que rien n’est encore convenu, Michelle pose en face de moi une cinquantaine de cd, des partitions, des livres… et me dit très naturellement : « faites le tri, prenez ce qui vous semble pertinent selon vos connaissances et on y va ». C’est le type de moment que l’on garde en mémoire. Tambour battant, je rentre chez moi, mon sac bien rempli, et je m’y mets donc immédiatement, tout en envoyant dans la foulée ma première liste de concerts que j’aimerais couvrir. Le premier « test » sera un concert de René Jacobs dans la Passion selon St Matthieu, « Je trouve que Jacobs est une jolie entrée en matière… » écrit Michelle, tout en m’indiquant la marche à suivre pour les Crescendiste. Bref, je n’aurais jamais imaginé me retrouver chaque semaine dans les plus belles salles d’Europe face à des artistes exceptionnels. L’exercice n’est pas aisé au départ, mais les mails d’aide et de soutien pleuvent. Être collaborateur à Crescendo, c’est être entouré d’une équipe qui n’hésite pas à prendre du temps pour accompagner ses collaborateurs, c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
En 2015, je me retrouve à nouveau au Château d’eau pour une visite amicale. Un message du chef d’orchestre italien Claudio Vandelli vient ponctuer nos conversations : l’ayant rencontré quelques mois plus tôt, par l’intermédiaire de Crescendo, à Flagey, il demande spontanément à Michelle si elle pense que je pourrais diriger une épreuve du Concours Tchaïkovski à Moscou. L’ambiance est alors nerveuse. Seul face à ce mail, je ne suis pas certain que j’aurais accepté l’invitation. J’ai 25 ans, je suis toujours étudiant, je n’ai jamais dirigé de grand orchestre… Mais voilà, le tempérament de Michelle, appuyée ici par Bernadette, me pousse à accepter et je fonce quelques semaines plus tard à Moscou, chaque jour avec le soutien de notre duo.
Je sais que si j’ai la chance de vivre de mon métier aujourd’hui, de ma passion, c’est en très grande partie grâce à Michelle Debra et Bernadette Beyne. Depuis, elles m’ont toujours porté, soutenu et encouragé. Je pense qu’à travers ces lignes, il est facile de comprendre que Michelle Debra fut une femme extraordinaire, dans les moments heureux comme malheureux. La disparition de Bernadette fut une perte immense, mais nous étions là pour l’accompagner. Sans compter sur Philo, son adorable chien, qui pendant un temps vivait chez moi (longue histoire). Michelle était comme une mère pour moi. D’ailleurs, après le décès de ma propre mère, Michelle fut la première à m’accompagner dans cette épreuve, démontrant encore une fois sa grande humanité. J’aimais aller au Château d’eau, ces moments de complicité autour d’une salade liégeoise, un gin tonic ou une trappiste (pour ces deux derniers, davantage avec Bernadette). Ces conversations parfois très longues sur l’actualité musicale, sur la vie, sur la politique… parfois animées, parfois concordantes, me manquent déjà. L’été, nous nous retrouvions dans le jardin, comme une famille, et c’est finalement ce que je retiens le plus dans cette relation : ce lien si fort, jamais abimé. Quand, il y a quelques mois, Michelle m’annonça ses problèmes de santé, ce fut un coup de massue. On imagine toujours que ceux que l’on aime sont les plus forts, qu’ils vivront éternellement. Hélas, cet idéal n’existe pas.
Je remercie la vie de m’avoir permis de rencontrer Michelle, d’avoir grandi à ses côtés. Elle faisait partie pour moi des personnes très importantes de ma vie. Son souvenir m’accompagnera à jamais.
Ayrton Desimpelaere, chef d'orchestre et rédacteur de Crescendo-Magazine
Michelle était membre du Jury des ICMA et bien avant déjà des Cannes Classical Awards et des MIDEM Classical Awards. Elle s'est toujours engagée de manière très constructive dans le travail du jury, et son apport était caractérisé non seulement par sa rigueur et sa profondeur, mais aussi par son engagement inébranlable en faveur de l'intégrité. Elle a été élue vice-présidente en reconnaissance de ces mérites. Elle était pour nous tous une amie bien-aimée, dont la gentillesse et la générosité resteront gravées dans les mémoires.
Rémy Franck, Président des International Classical Music Awards ICMA
Comme chacun sait, l’existence d’un être humain voit se succéder une série de chapitres que certains éléments particuliers viennent ouvrir, baliser ou clôturer. De ce point de vue, et à titre personnel, le départ de Michelle ne peut que susciter une généreuse et irradiante bouffée de nostalgie, liée plus précisément à l’été 1993 au cours duquel quelques utopistes ont relevé le défi de créer une nouvelle revue consacrée à la musique classique sur le territoire de la lilliputienne Belgique francophone. Il y avait autour de la table Bernadette Beyne, l’âme et le moteur de cette utopie, son épouse Michelle Debra, Alain Derouane, pilier entre autres de l’Automne Musical de Spa, Harry Halbreich, musicologue passionné et puits de science… et un petit jeune à la fois fier et impressionné d’en être. Le long compagnonnage qui s’en est suivi m’a permis bien sûr de mieux connaître Michelle et d’apprécier sans cesse davantage son rôle discret mais essentiel. Elle m’est ainsi apparue comme l’archétype de la personne disponible et attentive, capable de jouer le rôle parfois ingrat d’interface entre divers partenaires aux fortes personnalités, et sans laquelle, au final, rien ne peut véritablement fonctionner. Attentive à laisser s’exprimer les talents de chacun et à n’agir qu’en fonction de ce qu’elle considérait sans aucune complaisance comme étant son domaine de compétence, Michelle a accompagné de maîtresse manière la formidable créativité de Bernadette, a pu gérer les fulgurances d’Harry, s’est constamment souciée de trouver de nouvelles plumes et a contribué à inscrire Crescendo dans le paysage musical européen, notamment au sein des ICMA. C’est avec le même souci de sobre efficacité qu’elle a pu surmonter l’extrême douleur du décès de Bernadette et trouver les ressources nécessaires à la pérennisation du projet de sa vie. Aujourd’hui, c’est elle qui s’en va comme sur la pointe des pieds, presque sans bruit, sans que le grand public puisse juger de la portée réelle de son apport, de la constance de ses efforts et de l’énergie qu’elle a pu sans cesse générer grâce à sa passion, en veillant à ce que l’héritage de Crescendo puisse lui survivre. Pour tous ceux qui l’ont connue, elle laisse par contre un souvenir indélébile, celui d’une amie chaleureuse qui a su merveilleusement concilier les vertus de la passion et du combat quotidien avec celles de l’empathie et de la convivialité, le sourire aux lèvres.
Jean-Marie Marchal, rédacteur de Crescendo Magazine, membre du Comité éditorial et Directeur général du CAV&MA
Si j’avais croisé Michelle et Bernadette lors de salon ou d'événement, c’est en 2007 que je fis réellement leur connaissance à l'occasion d’un événement organisé à Luxembourg où j’avais été invité par notre ami commun Remy Franck. Ensuite, nous nous sommes régulièrement croisés dans le cadre des évènements des Midem Classical Awards et des International Classical Music Awards. Comme nous habitions la même région, cela facilitait les choses et on se retrouvait chez elles pour bavarder, avec déjà des “private jokes” venues spontanément face à telle communication pompeuse, mise en scène radicale, création conceptuelle, ou graphisme étrange qui font le sel du milieu musical.
Devenu en 2016 rédacteur pour le site, la collaboration devient plus étroite. A la suite du décès inopiné de Bernadette, Michelle m’a demandé de devenir Rédacteur en chef de Crescendo-Magazine. Bien évidemment la collaboration est devenue plus étroite mais surtout fabuleusement naturelle. Il est de ces collaborations où tout coule de source, tellement les choses sont évidentes, échangeant pour le site tous les jours, souvent plutôt très matinalement d’ailleurs. Mais, nous avions toujours les mêmes “inside jokes”, parfois même sans se concerter, on les échangeait spontanément. Un autre moment de notre collaboration était mes visites pour appréhender les centaines et les centaines de parutions qui arrivaient au siège du journal. Je regardais tout ce qui était placé sur le piano, lieu immuable d’accueil de ces parutions, l’adorable chien Philo à mes pieds, continuant avec Michelle nos conservations initiées par courriels, quelques minutes plus tôt et qui se poursuivaient dans la journée par ce truchement numérique.
MIchelle était particulièrement attentive dans son suivi du journal aux jeunes talents émergents partout dans le monde, attention dans l’ADN de Crescendo et aucune information du milieu de lui échappait. Merci pour tout Michelle !
Pierre-Jean Tribot, Rédacteur en chef de Crescendo Magazine
Crédits photographiques : ICMA
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