À découvrir ! Herman Galynin, un compositeur soviétique fascinant
Herman Galynin (1922-1966) : Œuvre complète pour cordes : Scherzo pour violon et cordes, Aria pour violon et cordes, Suite pour orchestre à cordes, Quatuor à cordes n°1 et 2. Anastasia Latysheva (violon), Ivan Nikiforchin (direction), Academy of Russian Music, 65’12, Texte de présentation en anglais, Toccata Classics, TOCC 0514
Peu de compositeurs ont vécu une vie aussi trépidante, touchante et romanesque que le Soviétique Herman Galynin. Après un premier volume consacré à ses œuvres pour piano publié en 2008, le label londonien Toccata Classics publie les premiers enregistrements digitaux (ainsi qu’un premier enregistrement mondial) de l’œuvre complète pour cordes de Galynin.
Le livret, particulièrement bien construit, réunit une constellation de témoignages pour tisser le portrait tragique de cet homme. Né en 1922 et mort en 1966, il perd ses parents à l’âge de sept ans et erre, vagabond, avec des bandes d’orphelins à travers sa ville natale de Tula pendant 2 ans avant de rejoindre un orphelinat. Là, sous les encouragements de ses professeurs, il peint énormément et apprend à jouer du piano en autodidacte, ainsi que, c’est difficile à croire, tous les instruments folkloriques de l’orchestre de son école ! Repéré pour sa fibre artistique indéniable, le prodige quitte Tula à 15 ans, suit 4 années de cours préparatoires au Collège Musical de Moscou, puis intègre en 1941 le département de composition du Conservatoire moscovite. Aussitôt déployé volontairement au front, il laisse de côté ses études avant de retourner à la vie civile en 1944, étudiant auprès de Myaskovsky puis Chostakovitch. Lors des événements diffamatoires liés au Décret Jdanov en 1948, Galynin et ses condisciples Boris Tchaikovsky et Karen Khachaturian refusent de dénoncer leur professeur Chostakovitch, préférant lui adresser des louanges publiques. Quelques minutes plus tard, Herman Galynin attaque avec une chaise celui qui vilipendait son idole. Sa relation conflictuelle avec l’autorité culmine quelques années plus tard lorsqu’il est atteint d’une forme de schizophrénie. D’après les mémoires de Rudolf Barshai, il crie à pleins poumons dans un bâtiment public « Staline et Zhdanov sont des meurtriers ! ». L’affaire est vite résolue, il est placé en asile psychiatrique. Il lutta tout le reste de sa vie contre sa maladie, trouvant refuge dans la composition. Le livret reste volontairement vague face à l’énigme de sa maladie, tant sur ses origines que sur le diagnostic véritable.
Son écriture se caractérise essentiellement par une phénoménale puissance, tant physique qu’émotionnelle. Inspirées du lyrisme post-romantique de Myaskovsky et de la modernité acerbe de Shostakovitch, ses œuvres brûlent d’intensité, ne se permettant pas de demi-mesures et ne se cachant pas derrière une forme de gris musical opaque. Très inventif, Galynin maintient facilement l’attention de l’auditeur, et on découvre de nombreuses références au folklore russe, en particulier dans ses 2 quatuors à cordes.
Le CD s’ouvre avec le Scherzo pour violon et cordes, ultime page du compositeur écrite en 1966 dans laquelle le violon solo, la jeune Anastasia Latysheva, tranche et cisaille son chemin à travers un paysage infernal. L’Aria pour violon et cordes suivant (écrit 7 années plus tôt, en 1959) quitte le tumulte précédent pour s’abandonner à un beau lyrisme oscillant entre élégie et onirisme. Écrite en 1949, juste après les évènements du Décret Zhdanov, la Suite pour orchestre à cordes porte un regard vers le passé, rappelant la Sérénade de Tchaikovsky (qui lui-même s’était inspiré du classicisme mozartien). Les deux quatuors à cordes, écrits en 1947 et 1956, viennent compléter le programme : dense et aride, le premier est clairement l’œuvre la plus moderniste présentée sur ce CD, se rapprochant énormément de l’univers de Schostakovitch. Dans le deuxième, Galynin explore la pureté - de son enfance turbulente, il affectionnait les souvenirs de ses rencontres avec ses professeurs, les orphelins et les sans-abris, qui « résonnaient avec pureté ». La simplicité et l’économie de moyens confèrent aux 1er et 3e mouvements une tendresse introspective à fendre le cœur tandis que cette même clarté compositionnelle permet de truffer les mouvements rapides de clins d’yeux et jeux rhythmiques divers.
On apprécie énormément la poigne et la conviction avec lesquelles Ivan Nikiforchin mène son orchestre à cordes Academy of Russian Music. Les interventions solistes sont respectables, certes, mais pas transcendantes. On entend la stabilité rythmique et l’intonation des jeunes interprètes mises à rude épreuve par les difficultés considérables des deux Quatuors à Cordes. Et la prise de son assez maigre n’aide pas particulièrement, il faut le dire. On sera heureux de voir ces œuvres mises au répertoire de grandes pointures dans les années à venir.
Pierre Fontenelle