A Gênes, une remarquable exhumation de Bianca e Fernando de Bellini

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« Sorgi, o padre, e la figlia rimira »…  Quel discophile passionné d’opéra n’a pas gardé en mémoire ce duetto extrait de Bianca e Fernando de Vincenzo Bellini qu’avaient enregistré pour Decca Mirella Freni et Renata Scotto ? Néanmoins, bien peu connaissent l’ouvrage intégral qui a d’abord été présenté sous le titre Bianca e Gernando au San Carlo de Naples le 30 mai 1826 avec Henriette Méric-Lalande et Giovanni Battista Rubini. Mais deux ans plus tard, le livret de Domenico Gilardoni sera révisé par Felice Romani et sera intitulé Bianca e Fernando pour une partition amplement remaniée par le jeune compositeur de vingt-sept ans et qui sera utilisée pour l’ouverture solennelle du Teatro Carlo Felice de Gênes le 7 avril 1828 avec Adelaide Tosi et le ténor Giovanni Davide comme têtes d’affiche. Cette seconde version a été reprise au Politeama Margherita de la cité ligure le 10 octobre 1978 avec Cristina Deutekom et Werner Hollweg. Et quarante-trois ans plus tard, le Teatro Carlo Felice décide d’en monter une nouvelle production en sollicitant le concours d’Hugo de Ana qui assume mise en scène, décors et costumes sous les lumières de Valerio Alfieri.

La trame en est extrêmement mince : héritier du trône d’Agrigento, Fernando revient d’exil sous la fausse identité d’Adolfo et est confronté à Filippo, l’usurpateur qui a fait disparaître Carlo, le souverain légitime, et qui veut épouser sa fille, Bianca. Après force péripéties, la sœur finira par reconnaître le frère ; et tous deux voleront au secours de leur père qui retrouvera son trône. D’un décor abstrait en quadrillage qui s’incurve comme une pomme se fendant au milieu pour faire place à une soldatesque masquée, le régisseur épie la fuite du temps en faisant tourner une sphère astronomique de Kepler au-dessus d’oriflammes gris et noirs que brandissent les porte-drapeaux en haut-de-forme et manteau blancs. Face à la violence tyrannique de Filippo qui a fait éventrer les instruments à clavier, l’une des suivantes de Bianca s’empare de son violon pour rejoindre trois de ses compagnes immobilisées comme dans une toile de Giorgione. Lorsque la gigantesque effigie d’un aigle disparaîtra dans les cintres, l’espoir de jours meilleurs finira par se concrétiser avec la libération du Duc emprisonné dans d’interminables cordages.

De la partition où l’on entend déjà la cabaletta « A bello a me ritorna » et le chœur « Non parti ? » de Norma, Donato Renzetti tire une intensité théâtrale qui sous-tend constamment ce long ouvrage en deux actes où les Chœur et Orchestre du Carlo Felice se montrent en tout point remarquables. Sur scène, Salome Jicia, aguerrie à la ‘vocalità rossiniana’ par ses Elena (de La Donna del Lago), Dorliska et Semiramide de Pesaro, est une magnifique Bianca,  traduisant l’anxiété de la victime du sort par une ‘coloratura drammatica’ qui sait devenir brillante dans le rondò final « Deh ! Non ferir ! ». Face à elle, le jeune ténor Giorgio Misseri, confronté à la tessiture aiguë apanage des Rubini et Davide, s’ingénie à produire à pleine voix des extrémités de tessiture qui pourraient parfois être émises en ‘falsetto accomodato’ ; mais il campe avec intrépidité un réprouvé assoiffé de vengeance s’attaquant au machiavélique Filippo de Nicola Ulivieri qui possède le grain sombre du baryton-basse romantique. Par contre, Alessandro Cacciamani prête au vieillard Carlo une couleur de basse trop impavide, alors que Giovanni Battista Parodi a des inflexions plus dynamiques dans le rôle de Clemente. Carlotta Vichi (Eloisa), Elena Belfiore (Viscardo) et Antonio Mannarino (Uggero) complètent habilement cette distribution pour une exhumation que l’on dira d’emblée mémorable !

Gênes, Teatro Carlo Felice, le 21 novembre 2021

Crédits photographiques : Teatro Carlo Felice

Paul-André Demierre

 

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