A Genève, le triomphe d’Alisa Weilerstein et le succès d’une création

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Dans le cadre de ses séries de concert, l’Orchestre de la Suisse Romande invite régulièrement l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Le 16 décembre, au Victoria Hall, cette formation de qualité très homogène a donné un programme émoustillant sous la direction de Rafael Payare, un chef vénézuélien de trente-six ans que l’on a applaudi l’an dernier à Genève. Dynamisme, précision du trait à la pointe sèche caractérisent son interprétation de la Symphonie n°29 en la majeur K.201 de Mozart qui s’est embuée de larmes dans un andante à l’apparence sereine. Puis il proposa La Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg dans la transcription pour orchestre de chambre. En gardant à l’esprit que cette œuvre est d’abord un sextuor à cordes dont les textures ont été amplifiées, il en utilise le lyrisme débordant pour créer une tension narrative atteignant plusieurs sommets expressifs sur un arrière fond d’étrangeté qui ne tolère aucun alanguissement. Mais entre ces deux pages si dissemblables est proposé le Premier Concerto pour violoncelle en mi bémol majeur op.107 de Dimitri Chostakovitch dédié à Mstislav Rostropovitch et créé par lui à Leningrad sous la direction d’Evgeny Mravinsky. La soliste en est Alisa Weilerstein, une artiste américaine de trente-quatre ans qui, soit dit en passant, est l’épouse de Rafael Payare ; elle est tout simplement magnifique par l’indomptable énergie avec laquelle elle attaque le thème initial en glissant un brin d’ironie ; puis elle irise son phrasé de mille nuances pour laisser affleurer le lyrisme du moderato. Et cette finesse du trait dessinera en bis une page de Bach, tout aussi éblouissante.
Une semaine auparavant, l’Orchestre de la Suisse Romande avait reçu le chef Hartmut Haenchen que l’on avait applaudi au Grand-Théâtre de Genève pour Iphigénie en Tauride. Son programme commençait par le Cinquième Concerto en la majeur K.219 de Mozart interprété par un violoniste de quinze ans, Daniel Lozakovitj, découvert ici dans deux pages de virtuosité il y a quelques mois : sur un canevas qui cherche la clarté de ligne, le jeune homme reste à la surface du propos et manque de caractère pour révéler le tragique de l’adagio ; et ce n’est que dans la turquerie du rondeau qu’il deviendra plus incisif, qualité qu’il affichera ensuite dans une page de Fritz Kreisler donnée en bis. Puis est proposée Anges, une création d’un musicien romand résidant à Berne, Jean-Luc Darbellay ; ceci explique sa proximité du peintre Paul Klee qui y vécut longuement et de son univers mystérieux. Et cette œuvre qui suppose un effectif instrumental considérable livre, sous un halo tamisé, une sorte de conglomérat sonore zébré des fulgurances que produisent un cor solo et la percussion. En seconde partie est présentée une brève page de Bohuslav Martinu, Mémorial pour Lidice, un village martyr exterminé par les Nazis en juin 1942. Le chef en dégage la véhémence insoutenable, évoquant son inexorable destin par une citation de la Cinquième de Beethoven avec laquelle, du reste, s’achève le concert. Il resserre les mesures d’attaque avec une virulence qui devrait fluidifier le discours ; mais l’effectif trop considérable des pupitres l’appesantit, tout en ne pouvant masquer le manque de cohésion des cordes où nombre de nouvelles têtes peinent à trouver leurs marques.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, les 7 et 16 décembre 2016

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