À Genève, un chef pour Chostakovitch
Pour son premier concert après sa longue tournée en Extrême-Orient, l’Orchestre de la Suisse Romande invite David Afkham, jeune maestro d’origine iranienne né à Freiburg-in-Brisgau qui, depuis 2014, est le premier chef de l’Orchestre National d’Espagne et qui en deviendra le directeur artistique à partir de septembre 2019.
Son programme commence par un classique de Beethoven, le Troisième Concerto en ut mineur op.37, qui a pour soliste le pianiste israélo-palestinien Saleem Ashkar dont le jeu précis qui se veut consistant paraît bien vite boursouflé et sans âme face à un tutti massif qui, Dieu sait pourquoi, inclut dix premiers et dix seconds violons et les cordes graves par huit. Dans le Largo pris ‘lentissimo’, le canevas s’irise de demi-teintes que le piano incorpore sporadiquement avant de livrer une ‘cadenza’ trop oratoire et un rondò articulé à l’extrême avec des arpèges à l’arraché et une stretta bousculée par un tempo trop rapide. En bis, une Träumerei des Kinderszenen de Schumann qui s’empreint furtivement d’un brin de poésie !
Heureusement, la seconde partie parvient à un tout autre niveau avec l’une des œuvres majeures de Dmitri Chostakovitch, la Septième Symphonie en ut majeur op.60 dite Leningrad. En un unisson péremptoire, le chef développe un ample legato qu’irradie la flûte, sombrant peu à peu dans une suffocante mélancolie ; mais dans le lointain, le tambour suscite le pizzicato des cordes, les bois dégagent l’étrangeté, en laissant à la clarinette le soin d’amener un gigantesque crescendo, éclatant en une marche cynique qui atteint le paroxysme de l’horreur. Un basson déchirant tente d’esquisser un motif de choral sur la plainte lancinante des premiers violons, diluant une ineffable mélancolie. Le Moderato est distillé par les seconds violons enjôlant les premiers, qui cèdent la place au cantabile du hautbois et du cor anglais ; brusquement resurgit le tintamarre de fanfares guerrières que dissipera la clarinette basse. Le choral des bois et cuivres plonge ensuite l’Adagio dans une infinie tristesse ; mais un rythme pointé haletant ramène les visions infernales que voilera le chant consolateur de l’alto, enchaînant avec un Finale qui se cherche dans les graves, tandis que la baguette impitoyable provoque les stridences des trompettes en un dernier combat dont les fumées laisseront percevoir une marche funèbre puis les bribes d’un credo annonçant la victoire sur la douleur. Et le spectateur bondit de son siège pour célébrer la qualité de l’exécution sous la direction d’un chef de talent !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 1er mai 2019
Crédits photographiques : Gisela-Schenker