A Genève, un Concert de l’An mi-figue mi-raisin

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Traditionnellement en janvier a lieu le Concert de l’An des Amis de l’Orchestre de la Suisse Romande. Le 13 janvier, il aurait dû être dirigé par la cheffe d’origine mexicaine Alondra de la Parra. Mais étant souffrante, elle a été remplacée au pied levé par Ana Maria Patino-Osorio, cheffe assistante de l’OSR qui assume le programme prévu en empoignant la célèbre Ouverture que Mikhail Glinka composa pour son opéra féérique en 5 actes Rouslan et Ludmila. Avec une rare énergie, elle la déploie comme étendard au vent en sollicitant l’éclat des cuivres que soutiennent les cordes graves afin de constituer une brillante entrée en matière.

Intervient ensuite le pianiste Mikhail Pletnev, menant parallèlement une carrière de chef d’orchestre, artiste russe ô combien médiatisé qui s’attaque au Concerto pour piano et orchestre de Maurice Ravel (le deuxième en ré est pour la main gauche), abordé à tempo modéré. Il suffit de quelques mesures pour percevoir que son jeu extrêmement propre est étranger à un style dont il annihile les inflexions jazzy suggérées par un orchestre mordant pour développer un discours sans âme qui n’a aucun intérêt. Pour qui a entendu en cette salle une Argerich inventant de nouveaux phrasés pour émoustiller son interprétation, l’Andantino est d’une consternante vacuité expressive en conférant curieusement une excessive importance aux triples croches conclusives qui ne sont pourtant que simple ornementation. Et le Presto final tient de la toccata brouillonne qu’applaudit poliment un public qui, en une telle soirée, ne réunit pas que des connaisseurs patentés.

Le programme inclut ensuite deux pages brillantes du répertoire d’Outre-Atlantique. La première est le célèbre poème symphonique de George Gershwin, Un Américain à Paris. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Ana Maria Patino-Osorio tente d’alléger le propos en contrastant les dynamiques, autant que faire se peut. Usant du rubato que produit le dialogue entre la clarinette et le violon solo, elle oriente la progression vers un blues que fredonne la trompette bouchée en s’appuyant sur le canevas soyeux des cordes. Mais les relents d’un charleston battent en brèche la mélancolie en ramenant le brassage des divers motifs, même s’il manque un brin de folie à ce kaléidoscope rutilant qui s’achève sur le thème du blues triomphant. Par contre, l’Ouverture de Candide de Leonard Bernstein enivre le public par ses élans euphorisants qui s’effilochent devant le tendre verbiage qu’échangent Candide avec la volage Cunégonde, avant de conclure par le brillant »Glitter and be gay » que chante la soprano.

Et le concert s’achève par le Troisième Concerto pour violon et orchestre en si mineur op.61 de Camille Saint-Saëns a pour soliste un prodige de vingt-et-un an, Daniel Lozakovich. Sur une tenue de cordes frémissantes, il attaque l’Allegro non troppo en corsant au maximum ses premiers traits avant de laisser se répandre le cantabile dont il irise les aigus. L’Andantino quasi allegretto n’est que poésie délicate, quitte à aseptiser la sonorité et parvenir à fleur de touche à une cadenza pianissimo, tandis que le Final acquiert sa brillance par la noblesse du trait alternant avec les passaggi d’une virtuosité échevelée qui emportera la stretta. Subjugué, le spectateur bondit de son siège et applaudit à tout rompre le jeune artiste qui livre en bis un 24e Caprice de Paganini à vous couper le souffle !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 11 janvier 2023

Crédits photographiques : Anne du Chastel

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