Un dialogue au sommet, Martha Argerich – Antonio Pappano

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Pour la troisième fois depuis avril 2013, l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma se produit sous la direction de son chef titulaire, Sir Antonio Pappano, dans le cadre d’une tournée suisse organisée par le Service Culturel Migros. 

À Genève, le 7 novembre, dès les premières mesures de l’ouverture d’Euryanthe de Weber, l’on est impressionné par la parfaite cohésion des pupitres dans ce début en fanfare où se révèle le brillant des cordes avant que les vents ne profitent d’un rallentando pour chanter le motif d’amour du chevalier Adolar. En un frémissement presque imperceptible, violons et alti en sourdines évoquent le monde des esprits que dissipera le dessin précis des cordes graves proclamant fièrement l’union de l’héroïsme et de la passion.

Sous les hourras d’un public conquis d’avance, entre alors Martha Argerich qui, au cours de cette tournée, présente en alternance le Premier Concerto de Chopin et le Premier Concerto de Liszt qu’elle propose ici avec une indomptable énergie, lui faisant jeter de véhémentes octaves à la face d’un tutti orchestral tout aussi vrombissant ; son art du phrasé lui fait utiliser le trille pour éclairer le cantabile passionné se volatilisant ensuite en arpèges aériens. Le Quasi Adagio est un moment de poésie intime qui volera en éclats avec un pathétique stringendo se résorbant en trémolo piano à fleur de clavier. Un sourire aux lèvres, elle dialogue avec le triangle placé derrière elle afin de tisser des traits arachnéens qui se corseront en un marziale animato époustouflant. Face aux délirantes ovations de son public, Martha le régale avec deux bis, le Widmung de Schumann transcrit par Liszt se voilant de larmes pour faire sourdre les voix intérieures qui réapparaîtront dans ‘Von fremden Ländern und Menschen’ extrait des Kinderszenen. Face à une pareille maîtrise du clavier à… 78 ans, l’on ne peut que tirer bien bas son chapeau devant la plus grande pianiste en activité de nos jours !

En seconde partie, Sir Antonio Pappano inscrit la Deuxième Symphonie en ut majeur op.61 de Robert Schumann, redoutable d’exécution par la lourdeur de l’orchestration. Au lieu de l’édulcorer, il profite de la qualité des cuivres pour imposer un ample legato ourlé par les cordes d’où prendra forme un allegro énergique se répandant en lames de fond sur le substrat mélodique aux inflexions pathétiques. A tempo extrêmement rapide, le Scherzo s’impose par la précision des lignes qui laisse filtrer une veine légère pour le double trio, alors que l’admirable Adagio contraste par son cantabile empreint d’une mélancolie que magnifiera le hautbois. Et le Finale est emporté par une vitalité débordante qui déclenche l’enthousiasme des spectateurs. Et le chef enchaîne deux bis, une Italiana, toute de nuances subtiles, ouvrant la Troisième Suite pour cordes seules des Antiche Danze ed Arie d’Ottorino Respighi, suivie de l’ahurissant Vivacissimo concluant la ‘Danza delle ore’ de La Gioconda de Ponchielli. Indescriptible délire !           

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 7 novembre 2019

Crédits photographiques : Musacchio & Ianniello

 

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