A Genève, une Maria de Buenos Aires à l’état pur 

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Depuis quelques mois, Genève s’enorgueillit d’une nouvelle salle d’un peu plus de trois cents places, La Cité Bleue. Sous l’égide de Leonardo García Alarcón ce théâtre se veut un nouveau lieu de rencontres internationales   à vocation artistique, ce que démontre aussi l’extrême diversité de sa programmation qui ne comporte rien moins que vingt-et-une nouvelles productions.

Lors d’entretiens avec le bandonéoniste William Sabatier, Leonardo García Alarcón a perçu l’importance qu’avait à ses yeux la présentation de la version originale de Maria de Buenos Aires, l’operita d’Astor Piazzola sur un livret d’Horacio Ferrer telle qu’elle avait été créée à la Sala Planeta de Buenos Aires le 8 mai 1968. Un enregistrement inédit de la première a même révélé deux tableaux retirés de l’édition discographique qui sont restitués ici. La version de concert proposée à la Cité Bleue comporte un quatuor à cordes, en l’occurrence le remarquable Quatuor Terpsycordes, dialoguant avec un ensemble incluant piano, guitare, flûte, contrebasse et double percussion, alors la partie de chœur monocorde est diffusée en fond de scène. Amélie Parias conçoit une mise en espace des trois protagonistes, Maria, Gorrion et El Duende pour une trame extrêmement mince : Maria, née dans un faubourg de Buenos Aires, a quitté sa famille pour mener une vie licencieuse qui précipite sa fin dans les égouts. De son Ombre s’éprend El Duende, et de leur liaison naîtra une fille qui s’appellera elle aussi Maria. Le dernier tableau, Tangus dei, en célébrera la sanctification en l’érigeant en vierge protectrice de la ville. 

Par chance, cette intrigue tarabiscotée figure dans le programme de salle et donne quelques points d’ancrage à tout spectateur qui ne comprend pas l’espagnol, car aucun surtitre n’est projeté durant les 1h 50 que dure la production. Totalement déboussolé, le malheureux se demande ainsi pourquoi El Duende s’entête à cravacher le pavement durant dix minutes en bredouillant milles injures au milieu de sa paperasse…

Il vaut donc mieux prendre le parti de faire abstraction de cette histoire mal ficelée pour se plonger dans les bas-fonds   où règne le tango à l’état pur.  Sans relâche, William Sabatier s’y jette à corps perdu en dirigeant le tout avec son bandonéon qui constitue le principe moteur de cette production. Il faut dire aussi qu’il a face à lui trois protagonistes d’exception, à commencer par Sol Garcia qui incarne une Maria bouleversante, tant par le timbre corsé de son mezzo que par une présence théâtrale hors du commun  rendant sa dernière apparition en Ombre de Maria particulièrement saisissante.  Tout aussi remarquable s’avère le Gorrion de Diego Valentin Flores, véritable moineau chanteur qui tire de sa voix une narration naturelle détachée de toute contingence technique. Et c’est par l’impact de sa personnalité que s’impose El Duende de Sebastian Rossi. 

Au terme du spectacle, le public ovationne   William Sabatier et son plateau, artisans de la résurrection d’une œuvre dans sa version d’origine. 

Genève, La Cité Bleue, deuxième représentation du vendredi 7 mars 2025

Crédits photographiques : © Giulia Charbit

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