A Genève, William Christie interprète de Haydn

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Pour le sixième concert de sa saison 2022-2023, le Service Culturel Migros a la judicieuse idée d’inviter, pour trois concerts à Genève, Berne et Zürich, William Christie et Les Arts Florissants qui se produisent rarement en Suisse.

Depuis sa fondation en 1979, l’ensemble a acquis une renommée internationale en exhumant les grandes œuvres de Lully, Rameau, Marc-Antoine Charpentier, Couperin ou Campra qui constituent le Grand Siècle français. Mais continuellement, William Christie s’ingénie à en élargir les horizons, ce qui explique le choix du dernier oratorio de Joseph Haydn, Die Jahreszeiten (Les Saisons) Hob. XXI : 3. Sur un livret du baron Gottfried van Swieten inspiré d’un gigantesque poème de James Thompson, l’ouvrage a donné bien du fil à retordre au compositeur qui jugeait le texte banal et l’imitation des cris d’animaux, de mauvais goût. De cette célébration de la vie rurale, il aurait pu tirer un Singspiel de saveur populaire ; mais il a préféré regrouper en une série de vignettes l’évocation de la nature et des sentiments qu’elle suscite en chacun. Néanmoins, l’extraordinaire originalité de la partition a connu un succès immédiat dès la création au Palais Schwarzenberg de Vienne le 24 avril 1801 puis lors des reprises de mai à la Salle de la Redoute. 

Et c’est bien cette inventivité expressive que s’emploie à valoriser William Christie dès les premières mesures du Printemps dont l’ensemble instrumental des Arts Florissants tire un caractère percutant en opposant les coloris, alors que le chœur, dont on louera la qualité des registres, dépeint une nature rassérénée par l’apparition de la nouvelle saison. Avec un timbre corsé, le baryton-basse serbe Sreten Manojlovic campe le paysan Simon en produisant une narration magistrale qu’il pimente d’une gaillarde bonhommie. Par une émission claire, lui répondent l’impétueux Lukas de Moritz Kallenberg et la jeune Hanne d’Ana Maria Labin au grain fruité en un trio d’une rare éloquence « Sein un gnadig, milder Himmel » que le chœur commente en glissant un subtil rubato dans son phrasé. Le paysage devient verdoyant et les jeunes gens entonnent un chant d’allégresse que la timbale ponctuera en un final fugué « Ewiger, mächtiger, gütiger Gott ! » aux accents grandioses.

Quel virulent contraste impose le second tableau, L’Eté, avec ses audaces harmoniques répandant une sourde angoisse que percera le hautbois imitant le chant du coq. Le paysan Simon dialogue avec le cor pour rassembler ses troupeaux. Et sa cavatine ornementée « Der munt’re Hirt » éveille Hanne et Lukas qui, en un crescendo suggestif, évoquent le lever du jour puis le soleil resplendissant. Le ténor s’apitoie sur les méfaits de la chaleur torride, tandis que la soprano joue de la fraîcheur du coloris pour dépeindre le charme bucolique de cette nature. Mais un pizzicato des cordes charrie de noirs pressentiments. Eclate l’orage en un saisissant Sturm und Drang que zèbrent les interventions péremptoires du chœur. Et le decrescendo progressif amènera un ensemble bucolique où l’atmosphère se régénère.

L’Automne magnifie l’abondante récolte qui récompense le dur labeur. Et le trio soliste exprime sa reconnaissance par un fugato triomphant avec chœur. Hanne et Lukas chantent leur amour en un duetto « Ihr Schönen aus der Stadt » qui se rapproche du dramma giocoso par sa stretta brillante, avant que ne résonnent les cors menaçants annonçant une chasse féroce que le vin de la vendange noiera dans de festives beuveries.

L’Hiver recouvre le paysage d’un brouillard harmonique qui rend maussade le lamento de Hanne, tandis que Lukas a de pathétiques accents pour décrire le voyageur errant qui finit par trouver un chaud refuge où l’on file la laine, tout en se livrant au marivaudage cocasse. Au terme d’une existence bien remplie, le passage vers l’au-delà s’accompagne d’élans triomphants que produisent les solistes et le double chœur. Et c’est par d’interminables applaudissements que le public conquis salue cette exécution en tous points remarquable.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 24 mars 2023

Crédits photographiques : DR

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