L'anniversaire de William Christie
Un concert Tea time à la française
Dans le cadre de sa série de concerts mettant en valeur des instruments historiques conservés au Musée de la Musique la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, l’institution propose un concert « tea time » à 16 heures dans le cadre de l’anniversaire des 80 ans de William Christie qui correspond à 45 ans des Arts Florissants. Le rendez-vous est porté par Paul Agnew, entouré d’artistes de la jeune génération qui, en ce moment, font partie du noyau central de de l’Ensemble. Si l’heure du thé évoque une tradition profondément ancrée dans la culture britannique, ce programme rend hommage à la musique française des XVIe et XVIIe siècles.
Dans un bocage
Lors des concerts des Arts Florissants dirigés par Paul Agnew, un rituel bien établi consiste à introduire le programme par un bref discours d’Agnew lui-même. Fidèle à cette tradition, le ténor et chef écossais nous propose, cet après-midi, de nous imaginer dans un bocage imaginaire, quelque part en France, aux alentours des années 1670 ou 1680.
Au fil du programme, des jeux d’amour prennent vie dans ce petit bois enchanteur. À travers les œuvres de Michel Lambert (Trouver sur l’herbette, Par mes chants tristes et touchants, Amour, je me suis plaint cent fois, Ma bergère est tendre et fidèle, Bien que l’amour fasse toute ma peine, Il est vrai qu’amour a ses peines), de Marc-Antoine Charpentier (Sans frayeur dans ce bois), et de compositeurs anonymes (Non, non, je n’irai plus au bois seulette, J’avais cru qu’en vous aimant, Sur cette charmante rive), se dessinent les aventures sentimentales de la bergère et du berger. Douceur, surprise, douleur, détresse et plaintes amoureuses rythment leur parcours.
Une interprétation pleine de nuances et d'esprit
La soprano Gwendoline Blondeel et la mezzo-soprano Juliette Mey déploient avec brio leurs talents expressifs, donnant vie à des textes qui, bien que paraissant naïfs aujourd’hui, révèlent toute leur poésie sous leur interprétation. Gwendoline Blondeel révèle progressivement la clarté de son timbre, avant de plonger dans un chant ouvert et élégamment français, soutenu par un ostinato à l’italienne dans Sans frayeur dans ce bois. Juliette Mey, quant à elle, orne la ligne mélodique de J’avais cru qu’en vous aimant, avec une agilité remarquable épousant parfaitement les courbes musicales avec son ton à la fois consistant et subtil. Paul Agnew insuffle quant à lui une touche volontairement troublante et pittoresque à son interprétation. Un humour s’invite également dans Ma bergère est tendre et fidèle ; lorsqu’il chante « Elle aime son troupeau, sa houlette, et son chien », les instrumentistes imitent l’aboiement du chien, ajoutant une touche de camaraderie joyeuse et légère.
Des instruments d’exception au service de l’émotion
Les chansons sont entrecoupées de pièces instrumentales qui amplifient et intensifient les sentiments évoqués par les voix. Trois instruments se partagent la scène, dont deux proviennent de la collection du Musée de la Musique : une basse de viole anonyme de la fin du XVIIe siècle, d’origine française encore incertaine, et un clavecin Ruckers, fabriqué à Anvers en 1646 et ravalé par Taskin en 1780 à Paris. Ces instruments historiques, ayant appartenu à Geneviève Thibault de Chambure -figure clé du renouveau baroque dans les années 1960-1970-, incarnent un pan du patrimoine musical et trouvent ici une résonance exceptionnelle.
Deux musiciennes talentueuses, la claveciniste Marie Von Rhijn et la violiste Myriam Rignol, exploitent toute la richesse expressive de ces joyaux historiques, que ce soit en accompagnement des chanteuses ou lors de solos remarquables. Le petit caprice, extraite de la suite n° 1 en la mineur de Marin Marais, et la Grande Passacaille en ut de Louis Couperin figurent parmi les moments les plus mémorables de l’après-midi.
Théotime Langlois de Swarte, en excellent chambriste, ouvre le concert avec le prélude d’une sonate de Jean-Baptiste Senaillé qu’il a lui-même redécouverte et enregistrée. Tout au long du programme, il accompagne les chanteurs avec finesse, collaborant avec les deux autres instrumentistes pour créer des effets surprenants. Dans Non, non, je n’irai plus au bois seulette, par exemple, les cordes évoquent les sonorités d’une vièle à roue, soulignant le caractère rustique et simple de la pièce.
Ce concert « tea time » à la française a offert un voyage musical empreint de poésie, où voix et instruments historiques ont brillamment conjugué virtuosité et émotion. Grâce à l’engagement des interprètes et à la richesse du répertoire, l’auditoire a pu savourer un moment oscillant entre élégance et simplicité, grâce à des partitions connues et des découvertes.
Concert du 14 décembre, à la Cité de la Musique (Amphithéâtre), Paris.
Crédit photographique © Vincent Pontet