À la découverte d’un Bizet moins fréquenté ou inédit, mais indispensable

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Georges Bizet (1838-1875) : Djamileh, opéra-comique en un acte ; Vasco de Gama, ode-symphonie ; Le Retour de Virginie et Clovis et Clotilde, cantates pour le Prix de Rome ; Musique chorale ; Mélodies ; Pièces pour piano. Karina Gauvin, Cyrille Dubois, Adèle Charvet, Reinoud van Mechelen, Isabelle Druet, et une dizaine d’autres chanteurs ; Célia Oneto Bensaid, Nathanaël Gouin, Florian Caroubi et Anthony Romaniuk, piano ; Flemish Radio Choir, Chœur de l’Opéra de Lille ; Orchestre national de Lyon, direction Ben Glassberg ; Le Concert de la Loge, direction Julien Chauvin ; Les Siècles, direction François-Xavier Roth ; Orchestre national de Metz, direction David Reiland. 2022 à 2024. Notices en français et en anglais. Textes chantés reproduits, avec traduction anglaise. 304’ 40’’. Un livre-disque de 4 CD Bru Zane 1059.   

La commémoration des 150 ans de la disparition de Georges Bizet n’aurait pas été une fête digne de ce nom si une série de pages méconnues ou oubliées de ce compositeur mort trop jeune ne l’avait accompagnée. En toute logique, c’est le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française qui s’en charge, après avoir proposé un superbe livre-DVD consacré à la mise en scène historique de la création originale de Carmen en 1875 (notre article du 7 janvier 2025). Des œuvres déjà gravées par le passé, mais surtout une série d’inédits de grand intérêt, font l’objet d’un magnifique et copieux livre-disque qui comprend quatre CD, et, comme d’habitude chez l’éditeur, des textes de fond rédigés par des spécialistes, Alexandre Dratwicki, le directeur artistique du projet, éclairant notamment « l’aventure du prix de Rome ». Le résultat offre un panorama varié de pages composées par Bizet, du milieu des années 1850 jusqu’en 1872, pages dont l’originalité et la qualité justifient leur mise à disposition.

Le premier disque est consacré en entier à Djamileh, un acte créé le 22 mai 1872 à l’Opéra-Comique, qui ne connut qu’un petit nombre de représentations. Le contexte est exotique, plein de finesses, malgré une intrigue mince. On connaissait déjà la version dirigée à Munich par Lamberto Gardelli, avec Lucia Popp et Jean-Pierre Laffont (Orfeo, 1988), ou celle menée par Jacques Mercier à la tête de l’Orchestre national de France, avec Marie-Ange Todorovich et François Le Roux (RCA, 1998).On doit la présente aux Siècles de François-Xavier Roth, avec les Chœurs de l’Opéra de Lille, Isabelle Druet assurant le rôle-titre avec des accents aux aspects plus dramatiques que dans les autres gravures citées ; on pourra préférer cette nouvelle gravure, l’orchestre faisant étalage d’une jolie palette de couleurs.

Vasco de Gama, créé le 8 février 1863, est une ode-symphonie dont on ne connaissait que très peu d’extraits. Elle évoque le grand navigateur portugais mort en 1524, sur des paroles de Louis Delâtre (1815-1893), avec récitant et chœurs. Fromental Halévy, le compositeur de La Juive et futur beau-père de Bizet, en fit l’éloge, en soulignant notamment son orchestration riche et soignée. Le résultat est une demi-heure de musique attachante, avec, entre autres, boléro, orage et prière. La soprano Mélissa Petit chante avec émotion l’air La marguerite a fermé sa corolle, que Bizet reprendra dans Ivan IV, le ténor Cyrille Dubois est parfait et Thomas Dolé fait office de récitant. Les chœurs de la Radio flamande et l’Orchestre national de Metz Grand-Est, dirigés par David Reiland, font apprécier cette ode de qualité. Suivent quatre pièces pour chœur et orchestre, dont Le Golfe de Baïa (1856), sur un texte de Lamartine, dans un mouvement de balancement de barque, et La mort s’avance (1869), une méditation sur deux études de Chopin. Les mêmes interprètes cisèlent ces courts moments. On y ajoute une Ouverture en la mineur, date ignorée, non jouée avant 1938, que Charles Dutoit gravera avec le Symphonique de Montréal pour Decca en 1995 ; c’est une intéressante page dramatique. Deux partitions pour piano, Venise, puis les Variations chromatiques de 1868, pièce pour l’instrument la plus ambitieuse de Bizet, complètent ce deuxième disque. Les Variations - énoncé du thème, quinze variations et coda -, se présentent comme une introspection du compositeur (Hervé Lacombe, Fayard, 2000, p. 427). Marie-Françoise Bucquet en avait saisi la profondeur en 1980 (Philips) ; Cécile Oneto Bensaid est dans la même ligne. 

La cantate pour le prix de Rome Le Retour de Virginie (1853/55), sur un texte d’Auguste Rollet, est un inédit d’essence romantique, qui concerne la fin de Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. L’héroïne va se noyer, bateau brisé par l’orage, alors qu’elle est attendue sur le rivage par trois personnages. Cette scène dramatique de veine exotique, qui a attendu 2024 pour être créée à Lyon, montre l’affirmation d’un créateur qu’on sent destiné au lyrisme grâce à d’habiles et chaleureuses utilisations instrumentales, et à un chant varié, ici servi avec intensité par Cyrille Dubois, la mezzo Marie-André Bouchard-Lesieur, voix souple, et Patrick Bolleire. L’Orchestre national de Lyon, mené par Ben Glassberg, bien connu des spectateurs de la Monnaie, sert à merveille une partition qui est une belle découverte. Ce troisième disque est complété par un Nocturne pour piano et par dix mélodies que se partagent avec éloquence Reinoud Van Mechelen et Adèle Charvet, accompagnés par Florian Caroubi et Anthony Romaniuk au piano.

On trouve sur le dernier volet de ce livre-disque la cantate Clovis et Clotilde, sur un livret du poète Amédée Burion, avec laquelle Bizet obtint le prix de Rome en 1857 - Gounod le complimentera -, et qui sera créée à l’Institut de France la même année. Elle est déjà connue depuis 1990 grâce à Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille (Erato). Autour de la présence du roi des Francs qui se convertit, de son épouse Clotilde et de Rémy, père de cette dernière, Bizet célèbre la France à travers des mélodies qui ont belle allure, contrastes de couleurs assurés. L’interprétation est excellente, avec Karina Chauvin, Julien Dran et Huw Montague Rendall. Elle s’impose désormais. Une Chasse fantastique pour piano, jouée par Nathanaël Gouin, précède cinq autres mélodies, distillées avec saveur par Van Mechelen et Romaniuk au clavier, avant un remarquable éventail de la transcription de six chœurs de Gounod, des inédits inspirés, entre autres, par Faust et Mireille ; ils sont confiés eux aussi à Nathanaël Gouin.

Voilà un « portrait » des plus éclairants pour une connaissance approfondie de Bizet. Cette riche moisson, de qualité interprétative toujours élevée, est un précieux apport. Comme toujours chez cet éditeur, une documentation érudite  participe à la réussite du projet.

Note globale : 10

Jean Lacroix 

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