A la Scala, un Casse-Noisette selon Balanchine

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En ouverture de sa saison 2018-2019, le Corps de ballet du Teatro alla Scala et son directeur, le niçois Frédéric Olivieri, se parent de couleurs festives en assumant la première représentation italienne d’un Casse-Noisette que George Balanchine avait conçu en 1954 pour le New York City Ballet et que, selon une tradition immuable, la compagnie reprend chaque mois de décembre depuis sa création. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de voir quatre fois la production originale au New York State Theatre sis au Lincoln Center. Et c’est donc avec une extrême curiosité que j’attendais cette présentation milanaise.

Reprendre aujourd’hui l’une des créations de Balanchine est un fait soumis à des règles extrêmement strictes édictées par la Fondation Balanchine (The George Balanchine Trust). Et c’est donc à Sandra Jennings, l’une des ballerines qui a travaillé avec le maître durant neuf ans, que revient le soin de préserver jalousement un style et une conception qui suit fidèlement la trame du conte d’E.T.A.Hoffmann, Der Nussaknacker und der Mäusekönig. Par contre, décors, costumes et éclairages peuvent être modifiés.

Sous de suggestifs jeux de lumières imaginés par Marco Filibeck, Margherita Palli  élabore un cadre scénique verdâtre qui, au travers d’un écran représentant une façade, fait apparaître un intérieur bavarois plutôt cossu où, un soir de Noël, une famille de bons bourgeois reçoit une douzaine d’invités avec leurs enfants ; car ce sont bien eux qui règnent en maîtres dans cet univers empesé où, rapidement, se glisse une sensation de mystère avec l’intervention du conseiller Drosselmeyer (remarquable composition d’Alessandro Grillo) qui fait apporter d’abord trois énormes cadeaux contenant un Arlequin, une Colombine et un soldat de plomb, s’animant ingénieusement par les bons soins de Gaia Andreanò, Christelle Cennerelli et le magnifique Mattia Semperboni ; puis à sa nièce Marie (la si touchante Chiara Ferraioli), il offre en surplus un casse-noisette que voudront mettre en pièces le petit frère Fritz (Amos Halilovic) et ses garnements de camarades. Sous la baguette de Mikhail Jurowski qui allie le sens du coloris à la précision du trait, l’Orchestre milanais ajoute, durant le changement de tableau, un intermezzo destiné à La Belle au Bois Dormant (recalé de la version newyorkaise) comprenant une partie de violon solo écrite pour le virtuose Leopold Auer. Dès ce moment-là, s’impose le concept originel de Balanchine avec l’arbre de Noël qui grandit démesurément, le casse-noisette/prince luttant avec son régiment de militaires/marionnettes en bois contre les grotesques souris et leur roi de si haute stature (Edoardo Caporaletti). D’une fascinante poésie se révèle le tableau hivernal au cœur d’une forêt de mélèzes ployant sous la neige, où, par groupes de huit, les ballerines en longs tutus blancs ébauchent de rapides figures d’une valse que chantent les Voix blanches du théâtre, préparées par Marco De Gaspari.

En de tout autres couleurs se dessine le second acte qui a pour cadre une bonbonnière démesurée, la Pâtisserie Marchesi à Milan que l’on aurait placée à l’intérieur des murs ‘Jugendstil’ de la Pharmacie ‘Zum weissen Engel’ à Vienne. En tuniques immaculées, une douzaine d’anges courent à qui mieux mieux sans pouvoir égaler leurs confrères newyorkais glissant comme sur des roulettes ; ils entourent la délicate Fée Dragée de Maria Celeste Losa qui exécute immédiatement sa célèbre Danse sur accompagnement de célesta, en l’isolant du Pas de deux conclusif où elle aura pour éblouissant partenaire le Cavalier de Nicola Del Feo. Le Divertissement use de doux pastels pour suggérer les saveurs : le chocolat chaud pour la Danse espagnole, faisant intervenir Emanuela Montanari et Mick Zeni, le café pour les mélismes arabisants d’Eva Stolic, le thé pour la pantomime chinoise de Francesco Mascia, le massepain pour la pastourelle de Caterina Bianchi, le bâton de sucre pour le trepak de Valerio Lunadei, la tourte glacée pour la Mère Gigogne campée par Samuele Berbenni. En une harmonie de jaune orangé se développera la célèbre Valse des fleurs, avant l’un de ces finales en apothéose faisant reparaître les figures majeures. Au rideau conclusif, un véritable triomphe !

Paul-André Demierre

Milan, Teatro Alla Scala, 15 janvier 2019

Crédits photographiques : Marco Brescia et Rudy Amisano – Teatro alla Scala

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