Le Ballet de l’Opéra de Paris reprend vie avec un triptyque Balanchine
Après la longue période de grève qui a causé l’annulation de 45 représentations et une perte de plus de vingt millions d’euros durant les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Paris reprend peu à peu son activité, même si les soirées de première n’ont pas eu lieu jusqu’à présent. Et le Ballet qui n’a pas pu représenter Raymonda de Glazounov dans la production de Rudolf Nureyev, ni Le Parc d’Angelin Preljocaj et n’a assuré qu’une partie des reprises de Giselle, est maintenant en mesure de reprogrammer ses spectacles ; mais avant le lever du rideau, un communique projeté sur écran rend le public attentif à la précarité du régime des retraites, ce qui soulève une salve d’applaudissements de soutien.
Est ainsi proposée une soirée George Balanchine comportant trois de ses ballets, donnée en accord avec le Balanchine Trust conformément aux normes d’exécution en matière de style et de technique. Le programme comporte d’abord l’une de ses chorégraphies les plus célèbres, Serenade, élaborée d’après la Sérénade pour cordes op.48 de Tchaikovsky (à l’ordre des mouvements modifié) qui avait été créée par les élèves de l’American Ballet School le 10 juin 1934 et qui était entré au répertoire du Ballet de l’Opéra le 30 avril 1947. Sans argument, les danseuses en longs tulles azurés conçus par Barbara Karinska sont figées, le bras droit tendu vers l’espace, sous les lumières bleutées de Perry Sylvey ; puis elles se mettent en mouvement, se groupant sporadiquement selon une ordonnance précise que règle Sandra Jennings. L’entrée du premier danseur, Marc Moreau le 22, Simon Le Borgne le 23, se synchronise avec le début de la Valse, entraînant dans ses tourbillons aériens le trio féminin conduit par Ludmila Pagliero puis Marion Barbeau. L’Elégie conclusive unit cinq des premiers plans en une émouvante déploration à laquelle se joindra l’ensemble se tournant vers l’Au-delà, tandis que l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, remarquablement dirigé par Vello Pähn, réexpose le motif initial du tutti.
A cette Serenade s’enchaîne Concerto Barocco créé à Rio de Janeiro par l’American Ballet Caravan le 27 juin 1941, entré au répertoire parisien le 18 décembre 1963 et repris ici par Diana White. Echafaudée sur le célèbre Double Concerto en ré mineur de Bach qui a pour solistes les violonistes Eric Lacrouts et Sylvie Sentenac, cette épure de couleur blanche suit simplement les lignes de la musique en créant un dialogue entre le groupuscule de huit ballerines et le trio incluant Marion Barbeau, Héloïse Bourdon et Florian Magnenet et, le lendemain, Valentine Colasante, Hohyun Kang et Stéphane Bullion.
En seconde partie, Sandra Jennings règle la reprise de cette fascinante partition pour orchestre à cordes et piano de Paul Hindemith qu’est The Four Temperaments, créée à New York par la Ballet Society le 20 novembre 1946 et présentée à Paris par le Ballet de l’Opéra le 18 décembre 1963. Ici, Vello Pähn a pour soliste la remarquable pianiste Christine Lagniel dans ce thème suivi de quatre variations correspondant abstraitement aux mouvements d’humeur qui peuvent prédominer dans une personnalité, d’où les titres Mélancolique, Sanguin, Flegmatique et Colérique. Les lignes s’étirent, le geste explore jusqu’à l’extrême ses possibilités. Ainsi Mathias Heymann puis François Alu exhibent la spécificité de leur caractère dans un Mélancolique que le violon rend déchirant avant l’arrivée de deux puis de quatre danseuses métamorphosant la séquence en un marziale qui se glissera impétueusement dans le tempo de valse de Sanguin réunissant Valentine Colasante et Stéphane Bullion puis Sylvia Saint-Martin et Marc Moreau. Et c’est lui qui impressionne, le premier soir, dans le long solo de Flegmatique qu’il rend beaucoup plus étrange que Yannick Bittencourt, tandis que font leur entrée quatre filles à l’allure dégingandée. Et Roxane Stojanov puis Ida Vilkinkoski expriment avec une singulière ardeur le tempérament du Colérique qu’aseptiseront les portés jubilatoires du finale. Une très belle soirée qui remporte un grand succès !
Paul-André Demierre
Paris, Opéra Bastille, les 22 et 23 février 2020
Crédits photographiques : Svetlana Loboff