A Lausanne, une création captivante, Davel de Christian Favre 

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Un sujet historique pour un opéra ? C’est la gageure qu’a relevée Eric Vigié le 11 juin 2004, le jour où il est devenu le directeur de l’Opéra de Lausanne. Frappé par deux fresques dans les escaliers de l’Hôtel de Ville, il s’est demandé qui pouvait être ce major Davel marchant à la mort le cœur serein. Il finit par apprendre que le 31 mars 1723, cet homme entra en Ville de Lausanne à la tête d’un bataillon de soldats et, devant le Conseil municipal, lut un manifeste reprochant au gouvernement bernois nombre d’abus et présenta un plan visant à établir l’autonomie du Pays de Vaud. Mais trahi par quelques-unes des autorités locales qui s’empressèrent d’envoyer un émissaire à Berne, le major fut arrêté le lendemain, condamné à mort et décapité le 24 avril 1723.

Même si ce fait historique a été le sujet de plusieurs pièces et d’un drame de René Morax avec des séquences musicales dues à Gustave Doret en 1923, il a fallu attendre l’année 2008 pour qu’à l’instigation d’Eric Vigié, le librettiste René Zahnd entre en contact avec Christian Favre, bien connu à Lausanne en tant que pianiste, professeur et compositeur. Dès 2017 les deux créateurs perçoivent qu’ils sont sur la même longueur d’onde en décidant de situer une large part de l’action dans la prison. Le musicien avoue que pour la première scène, il s’est ‘enfermé’ dans le cachot avec Davel ressassant « J’ai agi seul, c’est Dieu qui a inspiré mes actes » et que la musique lui est venue spontanément. La réalisation de la partition chant et piano lui prendra un an et demi à partir de février 2018. L’orchestration sera élaborée durant l’automne 2019 et la création aurait dû avoir lieu en mai 2020. Mais la pandémie en a eu raison et l’a déplacée au 29 janvier 2023.

Qu’en dire ? En premier lieu, il faut relever que la trame, bien ficelée, est facile à suivre car chaque scène est scrupuleusement datée. Quant à la partition, elle s’écoute tout aussi aisément, tant l’orchestration, de facture traditionnelle, est équilibrée par rapport au plateau avec un traitement remarquable des parties chorales. J’émets quelques réserves en ce qui concerne l’écriture vocale des rôles solistes, dont celle réservée au ténor campant De Crousaz, continuellement tendue dans l’aigu.

La mise en scène de Gianni Schneider est d’une rare intelligence car elle s’attache à mettre en valeur la dualité du personnage de Davel, d’un côté l’homme simple, fils de pasteur devenu militaire, de l’autre l’exalté visionnaire persuadé d’avoir été choisi par Dieu pour libérer le Pays de Vaud. Le rideau s’ouvre sur l’image de l’exécution, puis sur le premier interrogatoire d’avril 1723. Les souvenirs défilent en alternance avec les scènes de jugement et de torture en prison. Sous les habiles éclairages de Laurent Junod, les décors sobres de Nina Wetzel reconstituent le cadre historique qui s’anime grâce aux séquences vidéo de Sébastien Dupouey évoquant la bataille de Villmergen de juillet 1712, les vendanges à Cully ou l’entrée de son bataillon à Lausanne le 31 mars 1723. Curieusement, les costumes de Mireille Dessingy surprennent par cette volonté d’actualiser la robe portée par la mère Davel ou les tenues des jeunes du peuple, alors que la plupart recréent magnifiquement les uniformes militaires ou les habits folkloriques vaudois du XVIIIe siècle.

Quant à la musique, la direction de Daniel Kawka sait mettre en valeur la richesse de timbres de l’instrumentation que sert remarquablement l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Les ensembles sont tout aussi bien restitués par le Chœur de l’Opéra de Lausanne dirigé par Pascal Mayer et la Maîtrise du Conservatoire de Lausanne préparée par Pierre-Louis Nanchen. Sur scène, Régis Mengus crée le rôle de Davel en usant de toutes les ressources de sa tessiture de baryton pour traduire la bravoure du militaire, sa noble retenue devant l’adversité et sa propension à la rêverie occasionnant les scènes les plus émouvantes de l’ouvrage. Le traître De Crousaz est incarné avec conviction par Christophe Berry qui lutte courageusement pour défendre une tessiture malmenant ses aigus. Mais il ne mérite en rien les huées que lui adresse le jeune public (les élèves de Christian Favre ?) voulant conspuer le méchant de la trame. Le Commandant bernois De Wattenwyl est campé par la basse François Lis qui produit d’abord une sonorité gutturale, creuse dans le grave, mais qui trouvera meilleure assise au deuxième acte dans son ultime entretien avec Davel. A la Belle Inconnue si mystérieuse, Alexandra Dobos-Rodriguez offre son soprano fruité que l’on ne comprend guère, tandis que Susanne Gritschneder use de la richesse de son mezzo contralto afin de personnifier la mère de Davel, émouvante dans chacune de ses interventions. Et Anouk Molendijk, Elisabeth Montabone et Mohamed Haidar se chargent des seconds plans. Au rideau final, le public ovationne les artisans de cette réussite, notamment Christian Favre qui laisse perler quelques larmes de bonheur.

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 29 janvier 2023



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