À Tourcoing, tapages nocturnes bienvenus avec Le Carnaval baroque du Poème Harmonique

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Dans la soirée du vendredi 23 février à Tourcoing, la représentation du Carnaval baroque tombe juste dans la semaine du carnaval et sur la veille des vacances d’hiver qui commencent le samedi 24 dans la région des Hauts de France. Si la tradition de carnaval dans la ville s’est perdue dans beaucoup d’endroits en France, ce spectacle produit par Le Poème Harmonique rappelle le faste et l’agitation de la cité où chant et musique, réalité et illusion, la cour et la rue se mêlaient dans de rires joyeux et cyniques. 

Il est un peu avant 20 heures, dans le foyer du Théâtre municipale Raymond Devos de Tourcoing, des jeunes enfants avec leurs parents et grands- parents sont regroupés ça et là, autour du bar très prospère ce jour, ou un peu plus loin, dans un coin salon du foyer. Les retrouvailles entre famille ou entre amis, un verre à la main, provoquent des éclats de rires. Une fois dans la salle, on la voit se remplir très rapidement. Elle est désormais pleine à craquer, avec un taux élevé de jeune public. Et pourtant, ce n’est pas une séance scolaire. L’Atelier lyrique de Tourcoing venait de présenter Une Petite Flûte, une adaptation de La Flûte enchantée de Mozart, avec la participation du public. Les jeunes enfants, ravis de cette belle et joyeuse expérience, associent désormais le théâtre municipal à leurs meilleurs souvenirs de spectacle de la musique classique. L’expérience sera donc renouvelée avec le Carnaval Baroque, grâce à ses chanteurs, musiciens et circassiens qui rivalisent leurs talents. 

Mais quand le rideau se lève sur son unique représentation, on s’aperçoit vite que les grandes personnes s’amusent autant que les enfants ! Après une procession religieuse au rythme de chant d’église, se succèdent des scènes, humoristiques ou spectaculaires, absurdes ou grivoises, sans trame narrative. Un banquet a lieu dans un palais, où tout dérape avec des plats improbables de volailles, de pâtes, de fruits et légumes, ou même de têtes de chanteurs (si, si !)… Et on les mange de façon bien étrange… Plus tard, sur une autre table de banquet, les bouteilles de vin se multiplient à l’infinie et Bacchus est ravi !

Deux zanni, valets de comédie, descendants directs des bouffons de la comédie antique, frères et cousins d’Arlequin, de Polichinelle, de Pantalon, de Scapin ou de Sganarelle, nous guident dans leurs joyeux et poétiques délires. Lorsqu’ils sont protagonistes de numéros, ils jouent avec un gros cordon qu’ils prennent pour un serpent venimeux, ils sont surpris et ont peur devant le feu des allumettes. Ils regardent avec étonnement ou avec moquerie les jongleurs qui manipulent toutes sortes d’objets : des balles, des quilles, des anneaux, des diabolos, des bâtons de feu et… des caissons en bois ! Ces jongleurs sont aussi des acrobates qui réalisent des tours surhumains, parmi lesquels le numéro avec un pôle. Leurs mouvements sur ce mât sont d’une souplesse et d’une agilité insoupçonnées, réglées avec une minutie d'horloger pour avoir un équilibre parfait. 

Tout cela se joue sur des chaconnes et des passacailles quasi permanentes. Installés sur le côté jardin de la scène, les musiciens participent de temps à autres au ballet des jongleurs ; leurs regards et leurs têtes se meuvent dans la même direction, ou leurs corps bougent au rythme de la musique. Certaines pièces ressemblent fort à des solos et des chorus du jazz, dans les dialogues entre instruments bien rythmés. Ainsi, le cornet à bouquin se prend clairement pour la trompette solo d’un big band (même s’il n’y a que sept musiciens en tout !). Parfois, il est en duo avec le basson et cela sonne curieusement comme deux clarinettes virtuoses… La contrebasse donne le ton à tout le spectacle, tant son ostinato est envoûtant. Le violiste Lucas Perez remplace parfois son instrument par des percussions pour renforcer la « section rythmique », alors que Vincent Dumestre se transforme à un moment donné en joueur de colascione (colachon ou luth girafe), en étendant le bras loin sur sa très longue manche, bravant la difficulté pour appuyer les doigts sur les cordes. De la salle, on voit que les musiciens s’amusent autant que les spectateurs. Regarder leurs visages épanouis avec de grands sourires procure un autre plaisir. 

Dans la mise en scène de Cécile Roussat, le programme est très habilement construit en alternant différents numéros, extrêmement variés, de circassiens et des séquences de musiques et de chants. Anaïs Bertrand (alto), Paco Garcia et Martial Pauliat (ténors) et Igor Bouin (baryton) présentent avec un vrai délice des solos et des ensembles. Les moments les plus mémorables seraient le trio de voix d’homme (en polichinelle) et le Lamento del naso, une parodie de Lamento della ninfa de Monteverdi, par Anaïs Bertrand, avec des expressions volontairement excessives. Tout comme les musiciens et les circassiens, les quatre chanteurs constituent une entité chantante et c’est ce travail collectif magnifiquement réalisé que le spectateur admire avec délectation. 

Ainsi, chaque artiste apporte ses pierres à cette mosaïque colorée pour offrir une fresque bien vivante. Ces joyeux tapages nocturnes, plus que bienvenus, étaient un très bon remède contre la morosité… 

Représentation du 23 février 2024, au Théâtre municipal Raymond Devos à Tourcoing

Photo © Aleksey Gushchin

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