A Versailles, une magistrale intégrale des Boréades de Rameau

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Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Boréades, tragédie lyrique en cinq actes. Deborah Cachet (Alphise), Caroline Weynants (Sémire), Mathias Vidal (Abaris), Benedikt Kristjansson (Calisis), Benoît Arnould (Adamas), Tomas Selc (Borilée), Nicolas Brooymans (Borée), Lukas Zeman (Apollon), Helena Hozova (L’Amour), Pavla Radostova (Polymnie), Anna Zawisa (Première Nymphe), Tereza Malickayova (Deuxième Nymphe) ; Collegiume 1704, direction Vaclav Luks. 2020. Livret en français, en anglais et en allemand. Texte intégral de l’opéra, avec traduction anglaise. 165.15. Un album de 3 CD Château de Versailles CVS026.

Les Boréades, le dernier opéra de Rameau, n’a pas vu le jour en 1763 malgré un début de répétitions. Le décès du compositeur l’année suivante a plongé cette partition magnifique dans un silence de deux siècles. On a du mal à croire qu’il a fallu attendre 1975 pour une version de concert à Londres, sous la direction de John Eliot Gardiner, puis enfin une représentation théâtrale à Aix-en-Provence, en 1982, avec le même meneur de jeu. Un enregistrement a alors été réalisé chez Erato. Il faudra franchir le seuil du XXIe siècle pour qu’une mise en scène de Robert Carsen et un plateau vocal au sein duquel officiaient Barbara Bonney, Paul Agnew ou Laurent Naouri, sous la baguette de William Christie, aient les honneurs de l’Opéra de Paris en 2003 (disponible en deux DVD Opus Arte). C’est donc avec un immense plaisir et un appétit aiguisé que l’on découvre ce nouvel album qui n’est que la deuxième gravure de cette magnifique tragédie lyrique.

Sur un texte attribué au poète Louis de Cahusac (1706-1759), auteur de plusieurs livrets de Rameau, dont Naïs et Zoroastre, le sujet de cette œuvre en cinq actes est mythologique. La reine Alphise doit épouser Calisis ou Borilée, les fils de Borée, dieu des vents du Nord, mais elle est éprise d’Abaris, de naissance mystérieuse. Les jeunes gens s’avouent leur flamme. Apollon charge l’Amour de confier à Alphise une flèche d’or destinée à conjurer les malheurs. L’Amour approuve le choix d’Alphise tout en précisant qu’elle ne peut s’unir qu’à un descendant de Borée. Alphise décide d’abdiquer pour épouser Abaris, mais Borée, furieux, déchaîne les vents et fait enlever Alphise. Soutenu par le grand prêtre Adamas, Abaris veut sauver sa bien-aimée, menacée d’esclavage si elle ne choisit pas l’un des deux fils de Borée. Alphise refuse. Abaris utilise la flèche d’or qu’elle lui a confiée pour calmer la tempête. Apollon révèle alors qu’Abaris est en réalité son fils, né d’une nymphe de la lignée de Borée. L’idylle peut donc se concrétiser et le mariage avoir lieu.

Sur cette trame, Rameau, dont les 80 ans n’ont pas altéré la vitalité créatrice, construit une partition brillante et d’une vérité théâtrale fastueuse. Dès l’ouverture aux accents de chasse, on est séduit par le dynamisme et le frémissement qui parcourent des pages inspirées, tant au niveau du chant que d’une instrumentation virtuose, claire et puissante à la fois, qui atteint des sommets à l’acte III dans la tempête provoquée par la fureur de Borée. A la tête du Collegium 1704 -qu’on ne présente plus tant ses références discographiques sont convaincantes, qu’il s’agisse d’oeuvres de Haendel, Myslivecek, Vivaldi, Gluck, Zelenka ou Bach- Vaclav Luks fait merveille, dans un contexte vigoureux qui sait aussi se faire tendre lorsqu’il s’agit d’échanges amoureux, avec des tempi enlevés, légers et poétiques, mais aussi passionnés et dramatiques. Les vents sont dans une forme optimale, les percussions bien présentes sans être envahissantes ; les couleurs générales font de l’audition un vrai bonheur qui n’est pas loin du plaisir sensuel. La force de Vaklav Luks est de faire participer l’auditeur à cette aventure mythologique par un souffle organique qui unifie la musique et le chant dans un vaste élan énergique, qui conserve toutefois sa part de raffinement et d’élégance, y compris dans les phases de tension et de situations extrêmes. Que de noblesse dans tout cela, et que de finesse dans les différents ballets qui parsèment l’action !  

Le plateau vocal est bien équilibré, même s’il ne fait pas oublier les voix survoltées (Jennifer Smith, Anne-Marie Rodde, Philip Langridge) de la version Gardiner. Ici, le drame passe d’abord par l’investissement réciproque et un vrai sens de la mise en place. Dans le rôle de la reine Alphise, la soprano belge Deborah Cachet bénéficie d’une voix souple ; elle est émouvante aussi bien dans sa capacité amoureuse que dans sa détermination face aux dangers qui la menacent. Dès ses confidences à Sémire (Caroline Weynants), on devine que l’on va être touché par son combat. C’est vraiment le sentiment que l’on éprouve devant son courage, par exemple dans la scène I de l’acte II (l’air de la flèche), ou lorsqu’elle s’abandonne à son destin dans l’acte V avant de connaître le bonheur. Face à elle, le ténor Mathias Vidal campe un Abaris crédible, à l’éloquence affirmée, aux aigus dominés. On connaît l’éloquence de ce chanteur qui possède l’art de la clarté de l’élocution et qui sait doser les nuances. La longue scène V de l’acte II, échange de sentiments réciproques entre Alphise et lui, est un modèle de tenue palpitante. Benedikt Kristjansson en Calisis, Benoît Arnould en Adamas et Nicolas Brooymans en Borée sont adaptés à leurs personnages, tandis qu’Apollon et L’Amour trouvent en Lukas Zeman et Helena Hozova de dignes prestataires. Les autres rôles servent bien un livret écrit avec style, qui est aussi l’un des points forts de cette tragédie lyrique. 

Il ne s’agit pas ici d’une représentation théâtrale, mais d’une version de concert, enregistrée à l’Opéra Royal de Versailles en janvier 2020, dans ce lieu dont la belle acoustique apparaît comme un écrin idéal pour cette partition magistrale dont on est plus qu’heureux d’avoir une interprétation actuelle, digne de tous les éloges.

Note globale : 10

Jean Lacroix   

 

 

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