Comment défendre à la perfection un opéra méconnu d'un grand maître

par

JOKERCharles GOUNOD   
(1818 - 1893)
Cinq-Mars
M. Vidal (Cinq-Mars), V. Gens (Marie de Gonzague), T. Christoyannis (le Conseiller de Thou), A. Foster-Williams (le Père Joseph), A. Heyboer (le Vicomte de Fontrailles, J. Greg Belobo (Louis XIII), N. Nahoun (Marion Delorme), M. Lenormand (Ninon de l'Enclos), solistes, choeurs de la Radio Bavaroise, Münchner Rundfunkorchester, dir.: Ulf SCHIRMER
2016-live- 2 CD 76' 49'' et 61' 28''-textes de présentation et livret en français et anglais-chanté en français-Ediciones Singulares ED 1024

Il y a un peu plus d'un an paraissait ici même ma chronique du concert à Versailles, et l'enregistrement de cet événement exceptionnel était annoncé. Le voici, capté quelques jours avant, au Prinzregententheater de Munich. L'impression, plus que favorable, ressentie à l'issue du concert se trouve renforcée à l'écoute de ces deux CD superbement présentés, dans la tradition des livres-opéras du Palazzetto Bru Zane (PBZ). "Une redécouverte absolue" salue Gérard Condé dans son exemplaire notice introductive. Il faut avouer que, dix ans après Roméo et Juliette, l'inspiration de Gounod n'a pas faibli, malgré l' amalgame imparfait entre le grand opéra et l'opéra-comique, souvent reproché. Comme le soulignait Victorien de Joncières (auteur d'un remarquable Dimitri, également redécouvert par le Palazzetto) lors de la création : "Il a sans doute cherché la grandeur dans la simplicité." Voilà l'impression qui nous reste, en effet, et cette recherche, réussie, est somme toute représentative de l'art de Gounod, dès sa juvénile Sapho. Caractéristique est à cet égard le second tableau de l'acte II, un long divertissement chez Marion Delorme et qui, déjà, avait frappé les auditeurs à Versailles, par son inventivité mélodique constamment renouvelée. Danses et évocations de la Carte du Tendre s'y succèdent pour notre  plus complet enchantement, celui de cette affection pour le Grand Siècle que ressentaient aussi Massenet ou Saint-Saëns (ah, ce solo de cor dans l'"Entrée des Billets-Doux et des Jolis Vers", plage 30 du CD1!). Même moins nombreux et moins spectaculaires que dans ses opéras précédents, les airs ne déméritent pas : "Nuit resplendissante et silencieuse" est l'un des plus beaux nocturnes jamais écrits pour la scène lyrique (plage 8 du CD1). Dès cet air sublime jusqu'au puissant duo final, Véronique Gens s'avérera une interprète idéale de ce répertoire. Mathias Vidal chante un Cinq-Mars plus aigu, mais tout aussi convaincant, que Charles Castronovo à Versailles. Comme ces deux chanteurs, Tassis Christoyannis est un habitué des productions du PBZ, toujours admiré pour son articulation soignée. Maléfique éminence grise du Cardinal de Richelieu, la figure du Père Joseph, omniprésente, oblige les héros à se diriger vers la mort : une magnifique incarnation du baryton Andrew Foster-Williams. Excellents seconds rôles, en particulier la Marion de Norma Nahoun, en tous points digne de Mady Mesplé, mais aussi Marie Lenormand en Ninon, André Heyboer en Fontrailles ou Jacques-Greg Belobo en imposant roi Louis XIII. Choeurs formidables (finale de l'acte III "Sauvons le Roi", si joyeusement pompier), et orchestre poétique toujours adéquat, comme le requiert la fine écriture de Gounod. Tels Le Mage de Massenet, ou Les Barbares de Saint-Saëns, voici encore une réussite exemplaire du PBZ.
Bruno Peeters

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