Villa-Lobos en symphoniste majeur
Heitor Villa-Lobos (1887-1959) : Intégrale des symphonies, Uirapuru, Mandu-çarará. Leonardo Neiva, baryton ; Saulo Javan, basse ; São Paulo Symphony Orchestra and Choir, Isaac Karabtchevsky. Enregistré entre 2012 et 2017. Livrets en portugais et anglais. 1 coffret de 6 CD Naxos. Référence. 8.506039.
Dans l'imaginaire du mélomane du XXe siècle, les grands symphonistes se nomment Roussel, Honegger, Chostakovitch, Prokofiev, Vaughan-Williams, Martinů, Nielsen, Henze….Il sera rare de citer Villa-Lobos. Pourtant auteur de 12 symphonies (dont 11 subsistent puisque le manuscrit de la Symphonie n°5 a disparu), l’Indien blanc est assurément l’un des grands symphonistes du XXe siècle.
Ce corpus couvre une large période comprise entre 1916 et 1957 et il se déploie dans un siècle de mutations musicales majeures qui ont sans doute contribué à amoindrir la portée de cette si belle musique considérée comme trop conservatrice, surtout après la Seconde guerre mondiale quand furent composées les Symphonies n°7 à n°12. Alors que Pierre Boulez composait son Marteau sans maître et que Xenakis mettait une touche finale à son Pithoprakta, Villa-Lobos convoquait dans sa Symphonie n°12 un carnaval de couleurs et de rythmes naturalistes endiablés.
Le compositeur n’était pas un avant-gardiste en rupture avec les formes et si sa musique est marquée par l’Histoire, elle ne vise pas le souffle dramaturgique d’un Prokofiev ou d’un Chostakovitch. Villa-Lobos respectait la symphonie en quatre mouvements et sauf la Symphonie n°10 qui en comporte cinq, toutes suivent scrupuleusement les préceptes et l'alternance de mouvements lents et rapides. Mais à l’intérieur de ces règles, le compositeur convoque un imaginaire foncièrement brésilien avec ses explosions de rythmes et de couleurs ou ses mélodies dansantes. Porté par une maîtrise stupéfiante de l’écriture, l’orchestre virevolte dans un mouvement chorégraphié et chantant. La facilité d’écriture et de suggestion peut se manifester dans un dialogue chambriste entre les instruments comme dans le mouvement lent de la Symphonie n°6 évocative des montagnes du Brésil ou dans la fusion cinématographique et spectaculaire des solistes vocaux, des choeurs et de l’orchestre de l’incroyable symphonie n°10, sorte d’oratorio en technicolor qui narre la fondation de São Paulo. Même les symphonies n°3 et n°4, issues d’un triptyque sur la Première Guerre mondiale, additionnent les couleurs brésiliennes à une volonté de narrer les évènements, comme si le compositeur ne pouvait pas tourner le dos à son ADN culturel.
Le coffret ajoute deux superbes partitions du début de la carrière créatrice de Villa-Lobos : le poème symphonique Uirapuru, en hommage à un célèbre oiseau du pays, et la cantate profane Mandu-Çarárá pour choeurs d’enfants et d’adultes et grand orchestre. Ces deux chefs d'œuvres portent très haut le geste coloriste et rythmé du musicien.
A l’écoute de ces partitions, on comprend mieux le propos du chef Isaac Karabtchevsky qui nous disait qu’il était primordial que ces œuvres soient jouées par les musiciens brésiliens. Chaque mélodie n’est ici jamais rigide, plate ou besogneuse, mais elle chante naturellement et les instrumentistes apportent le déhanchement nécessaire pour rendre grâce à toutes les facettes de ces symphonies au-delà de la construction musicale rigoureuse. Isaac Karabtchevsky a l’art de diriger, de faire exploser les déferlements de rythmes mais de laisser les pupitres dialoguer et respirer entre eux. L’orchestre symphonique de São Paulo a toujours été un orchestre d’élite et il peut surmonter toutes les difficultés de ces partitions.
Ces sessions, enregistrées dans la Sala São Paulo, l’une des plus fabuleuses salles de concert du monde, bénéficient d’un son de démonstration.
Ce coffret, vendu à prix Naxos, est assurément une référence qui supplante facilement toutes les autres tentatives dans ces symphonies. Ce voyage musical hors des sentiers battus saura ravir les amateurs de grands espaces symphoniques et de découvertes musicales.
Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot
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