Andris Nelsons à Lucerne

par

Johannes Brahms (1833-1897)
Sérénade n°2 en la majeur, Op. 16 – Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre, Op. 53 – Symphonie n°2 en ré majeur, Op. 73
Lucerne Festival Orchestra, Andris Nelsons, direction – Sara Mingardo, alto – Bavarian Radio Choir, Gerald Häussler, chef de chœur
2015-DVD-109’-Textes de présentation anglais, français et allemand-Accentus music-ACC20325c

Le 20 janvier 2014, Claudio Abbado nous quittait en laissant derrière lui un héritage conséquent. En 2003, le chef italien refonde l’Orchestre du Festival de Lucerne alors abandonné depuis 1993, invitant les plus éminents solistes des phalanges orchestrales européennes. De cet orchestre, il tire pendant plus de dix ans des sonorités époustouflantes, dignes des plus grands orchestres, dans des programmes variés allant de Mozart à Berg. De nombreux enregistrements audio et vidéo témoignent aujourd’hui de la capacité du chef à réunir une multitude de solistes en un seul groupe tout en démontrant également le travail interprétatif passionné et passionnant du chef. En plus d’être charismatique, même si les années de maladie ont fortement amaigri Abbado, apparaissant parfois fragile et fatigué, Abbado déclenchait partout où il passait une volonté de magnifier le matériau sonore, l’âme de l’orchestre, la juste interprétation, tout en laissant à l’orchestre le soin de développer cet aspect au sein des pupitres. Pour le concert inaugural du festival d’été 2014, il fallait donc trouver le chef qui, dans une ambiance quelque peu électrique en raison des attentes nombreuses tant du public que de l’orchestre, parviendrait à poursuivre cette quête de la perfection. Ainsi, le 15 août, le jeune chef letton Andris Nelsons prend place sur le podium de la Salle de concert du Palais de la Culture et des Congrès de Lucerne, dans un programme intégralement consacré à Brahms et encore imaginé par Abbado. En harmonie avec le thème du festival, « Psyché », le programme vient de manière troublante présenter les états d’âme du compositeur. Trois grandes périodes se succèdent : la jeunesse avec la Sérénade n°2, une période où Brahms fuyait par dessous tout l’idée d’écrire une grande symphonie et dont seul le Concerto pour piano n°1 en est un premier jet ; la Rhapsodie pour contralto, voix d’hommes et orchestre dont le langage introspectif renvoie quelques années plus tard aux amours malheureuses avec Julie Schumann, la fille de Robert et Clara, qui prévoit de se fiancer avec un comte italien et donc la partition sera le cadeau de mariage, et enfin la période de maturité avec la Symphonie n°2 créée en 1876 dont le langage serein et détendu évoque de manière symbolique l’été passé à Pörtschach au bord du lac Wörthersee.
Ce concert était donc un point de départ à hauts risques, un challenge pour Andris Nelsons qui y voyait le « plus grand défi de sa carrière ». Convaincre, unifier, trouver l’interprétation juste avec un orchestre d’une telle pointure, tout en y apportant une touche personnelle, voilà quelques points que Nelsons devait avoir à l’esprit en cet été 2014. Et c’est sans réelle surprise que l’on découvre un chef investi, toujours aussi souriant, dont la baguette n’a de cesse de guider les musiciens avec finesse et spontanéité. Nelsons invite ses collègues à magnifier la moindre cellule, leurs permettant d’explorer l’infinie étendue des indications musicales de Brahms. S’il émancipe les musiciens, notamment pour les solos des vents, il use d’une baguette plus autoritaire lors de passages où une construction plus complexe est requise. Le résultat proposé ici est celui d’un travail mené à bien, dont l’homogénéité des pupitres répond avec force aux gestes d’un chef qui modèle en fonction de ce qu’il entend, au risque parfois de lâcher la baguette, voire la gestuelle. Ajoutez à cela la voix chaude et intime de Sara Mingardo ponctuant la Rhapsodie avec élégance, un chœur d’hommes investi et homogène et une abondance de couleurs et de dynamiques parfaitement maîtrisée par les artistes, tant de détails qui offrent de ce concert un témoignage captivant dont la captation vidéo, tant dans les plans larges que réduits, est réussie.
Ayrton Desimpelaere

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