Andris Nelsons, le brucknérien terrestre

par

Richard Wagner (1813-1883) : ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg ; Anton Bruckner (1824-1896) :  Symphonie n°2 en Ut mineur WAB 102 (Version 1877, Edition William Carragan, 2007) ; Symphonie n°8 en Ut mineur WAB 108 (Version 1890, Edition Leopold Nowak). Gewandhausorchester Leipzig, Andris Nelsons. 2019. Livret en allemand et anglais. DGG. 

Le Gewandhauskapellmeister Andris Nelsons est presque en passe, avec cette nouvelle parution, de clore son intégrale des symphonies de Bruckner au pupitre de ses valeureux Saxons. Il ne lui reste plus que les Symphonies n°1 et n°5 à ajouter aux précédents volumes. Jusqu’à présent les commentateurs sont restés sur leur faim à cause d’un style de direction plus hédoniste que transcendental ou métaphysique. Ce Bruckner désacralisé avait marqué ses limites dans le précédent tome de cette intégrale dévolu aux Symphonies n°6 et n°9

Si les deux symphonies présentées partagent la tonalité d’Ut mineur, tout sépare la valeureuse Symphonie n°2 de l’immense Symphonie n°8. Si Andris Nelsons maintient une constance dans sa vision purement orchestrale, cette approche sert merveilleusement la Symphonie n°2. Mal aimée, comme les premières symphonies et rarement jouée au concert, elle bénéficie d’une lecture très allante qui met en avant l’originalité et les expérimentations instrumentales de Bruckner. Ce n’est pas, comme trop souvent, une deuxième cuisson d’un Brahms tardif ou une première pression d’un Bruckner mal dégrossi, mais on sent poindre sous cette baguette la force de l'écriture mais aussi les racines de cette musique. Andris Nelsons ne brutalise pas un matériau, mais soigne la respiration naturelle. Le mouvement lent “Andante. Feierlich, etwas bewegt” est un modèle de clarté instrumentale et de sens de la narration. Tout est absolument parfait dans cette lecture qui respire l’intelligence musicale ! 

Changement radical de registre avec la Symphonie n°8. Aux commandes d’un orchestre phénoménal par la beauté de ses couleurs et la qualité de ses pupitres, Andris Nelsons prend son temps et joue de l’orchestre avec un bonheur non dissimulé. Commandant un orgue orchestral surpuissant, le chef letton fait un sort à chaque thème et surjoue les nuances. C’est complètement narcissique et égotique, mais seul un chef d’une telle envergure peut s’amuser de la sorte sans briser la structure. Bien évidemment, il n’y pas l’ombre d’une spiritualité, d'un dramatisme ou d’une puissance divine dans cette lecture spectaculaire avec des contrastes surlignés ! Celibidache ou  Jochum doivent se retourner dans leurs tombes et les brucknériens puristes vont hurler à la trahison. Un peu comme Georg Solti, autre brucknérien plus orchestral que mystique, Nelsons construit une interprétation très personnelle mais hors styles dominants.  

Le concept éditorial de cette intégrale est d'adjoindre aux symphonies des ouvertures ou des extraits symphoniques de Wagner. Seule l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg vient prendre place avant ces colosses symphoniques. On retrouve un Nelsons jubilatoire qui fait de cette partition une sorte de ballade orchestrale aimable et enjouée. Ce n’est pas dramaturgique, mais la plastique incroyable de l’orchestre maintient l’intérêt de cette lecture là encore assez égotique. 

Difficile dès lors de recommander cet album sauf pour l’exceptionnelle lecture de la Symphonie n°2. Il n'empêche les amateurs d’orchestres et d’art de la direction risquent de se repasser souvent ce disque qui renvoie presque à l’ère de grands chefs du XXe siècle, ceux capables de réinterpréter une oeuvre en s’appropriant le matériau musical. 

Son : 10    Livret : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 8 (Symphonie n°2 : 10 / Symphonie n°8 : 7 / Wagner : 7

Pierre-Jean Tribot

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