Daphnis et Alcimadure, l’opéra baroque occitan de Cassanéa de Mondonville

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Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) : Daphnis et Alcimadure, pastorale languedocienne en trois actes et un prologue. Élodie Fonnard (Alcimadure), François-Nicolas Geslot (Daphnis), Fabien Hyon (Jeanet), Hélène Le Corre (Clémence Isaure, prologue) ; Chœur de chambre Les Éléments ; Les Passions - Orchestre baroque de Montauban, direction Jean-Marc Andrieu. 2022. Notice en français. Texte complet du livret en languedocien avec traduction française. 126’00’’. Un coffret de deux CD Ligia LIDI 0302354-23. 

Si les grands motets ou les sonates, notamment pour clavecin avec voix ou violon, de Mondonville ont eu les honneurs du disque, ses opéras sont moins fréquentés, même si Les Fêtes de Paphos (Rousset/ Oiseau-Lyre, 1997), Isbé (Vashegyi/ Glossa, 2017)) ou Titon et l’Aurore (Christie/DVD Naxos 2021, dont nous nous sommes fait l’écho le 24 janvier 2022), ont permis de savourer la qualité de son inspiration. On est donc heureux d’accueillir ce coffret Ligia qui met à disposition Daphnis et Alcimadure, l’unique opéra baroque occitan, interprété sur instruments d’époque pour la première fois depuis sa création en 1754. Claude-Henri de Fusée, abbé de Voisenon (1708-1775), déjà sollicité pour Titon et l’Aurore, s’est adonné à nouveau à la pastorale, avec un plaisir non dissimulé, dans le prologue en français, Mondonville se chargeant lui-même du livret en occitan. 

Alors âgé de 42 ans, Mondonville, dont l’ascension a été rapide, est un protégé de Madame de Pompadour et est maître de musique de la chapelle royale à Versailles ; bientôt, il sera chef d’orchestre du Concert spirituel. Lorsqu’il compose en 1753 la pastorale héroïque Titon et l’Aurore, la Querelle des Bouffons, qui oppose les partisans d’une musique purement française à ceux de l’italianisation, est en pleine effervescence. Dans la foulée, Mondonville écrit une autre pastorale, celle qui nous concerne, en dialecte toulousain, qui est programmée à Fontainebleau devant Louis XV et la famille royale avec succès. L’œuvre est reprise et reprogrammée à maintes occasions jusqu’à la Révolution, avant de sombrer injustement dans l’oubli. 

Ceux qui fréquentent les Fables de Jean de La Fontaine connaissent sans doute moins celle qui apparaît dans le Livre XII, sous le numéro 26, et qui se présente comme une imitation du poète lyrique grec Théocrite, qui vécut au IIIe siècle avant notre ère. Daphnis et Alcimadure raconte en vers l’amour sans issue d’un berger pour une jeune femme, fier et farouche objet, toujours courant aux bois,/Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure,/et ne connoissant autres lois/Que son caprice. Ignoré par l’ingrate, Daphnis meurt d’amour chez La Fontaine. Mais chez Mondonville, il trouve la récompense de sa passion, la belle rendant finalement les armes ; la complicité du frère de la demoiselle, Jeanet, y aura bien contribué. Un dénouement des plus satisfaisants pour des spectateurs royaux ! 

Afin, peut-être, de ne pas trop désorienter ce parterre de choix, le prologue, écrit, comme nous l’avons dit, par l’abbé de Voisenon, est rédigé en français et est réservé au récit de Clémence Isaure, figure emblématique semi-légendaire, considérée comme la fondatrice des Jeux Floraux de Toulouse au début du XIVe siècle. Dans un décor bucolique, où se déploient jardiniers, paysans, chasseurs ou mariniers, l’amour est célébré et l’action qui va suivre entre les protagonistes est annoncée. Le contexte est charmant et animé, l’entrée du peuple, puis celle de nobles, étant soulignée par les chœurs et Clémence Isaure, dont le nom est magnifié et glorifié. Ce rôle symbolique est confié à la soprano Hélène Le Corre, qui fait preuve d’un goût certain et d’une vraie noblesse de ton.

Les trois actes en occitan, nourris de nombreux airs dont on peut suivre la qualité poétique grâce à une traduction en français qui suit chaque intervention, sont des plus plaisants. La musique, où l’on retrouve le style italien, est riche en couleurs contrastées et en trouvailles dramatiques ou tendres, des airs de danses bien rythmés venant agrémenter l’action de façon subtile. On lira avec plaisir le livret complet, accompagné de passionnants commentaires sur l’œuvre, mais aussi sur la restitution de la partition et les principes d’interprétation. Le chef d’orchestre, Jean-Marc Andrieu, qui a créé en 1986 un ensemble baroque devenu Les Passions en 2003, évoque la réalisation des parties intermédiaires, le choix des effectifs et l’attention particulière portée à la prononciation de l’occitan languedocien. À ces explications très documentées, ont été ajoutées de nombreuses photographies en couleurs de la réalisation scénique, effectuée au Théâtre Olympe de Gouges de Montauban les 30 septembre et 1er octobre 2022. On salue la haute qualité de ce livret de près de cent pages, qui montre à quel point le travail a été mûri, approfondi et soigné.

Sur le plan vocal, on ne peut être que comblé par les voix des trois protagonistes de la pastorale. Élodie Fonnard, qui se produit de façon régulière avec les Arts Florissants, est une séduisante Alcimadure, d’une absolue fraîcheur. François-Nicolas Geslot, qui s’est déjà distingué dans Rameau, Lully ou Charpentier, démontre ses facilités dans l’aigu ; il est émouvant dans sa quête de celle qu’il poursuit de ses assiduités. Fabien Hyon, qui s’est perfectionné à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth il y a peu d’années, incarne Jeanet, le frère complaisant de la belle ; il révèle lui aussi un timbre de qualité. On notera le soin apporté à la prononciation, qui donne au langage occitan un relief bien coloré. Le Chœur de chambre Les Éléments met beaucoup de vie dans ses impeccables interventions. Quant à Jean-Marc Andrieu et aux Passions, ils font vivre cette restitution avec un dynamisme permanent. Une découverte que l’on savoure, comme les spectateurs royaux qui en ont été gratifiés au XVIIIe siècle.  

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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