Amy Beach : l’intensité dramatique au service de l’inspiration

Amy Beach (1867-1944) : Symphonie « gaélique » en mi mineur op. 32 ; Maria Stuart, scène et aria op. 18 ; La Fille de Jephté, aria pour soprano op. 53 ; Extase, mélodie pour soprano et orchestre ; Bal Masqué, version pour orchestre op. 22. Camille Schnoor, soprano ; Angela Brower, mezzo soprano ; Orchestre symphonique de Munich, direction Joseph Bastian. 2024. Notice en allemand et en anglais. 78’ 52’’. Solo Musica SM488.
Après avoir croisé la route pianistique de l’Américaine Amy Beach grâce à un album Hortus, un autre label autorise un approfondissement de son œuvre symphonique et vocale. Rappelons que née Amy Marcy Cheney dans le New Hampshire, ce talent précoce apprit quelque peu le piano avec Johann Ernst Perabo (1845-120), qui avait étudié à Leipzig avec Carl Reinecke et Ignaz Moscheles. Mais la jeune femme fut surtout une autodidacte, qui donna avec succès des récitals dès 1883, avant d’être mariée deux ans plus tard au docteur Henry Beach, son aîné de vingt ans. Elle ne se produisit plus en public, dut se contenter de composer et de signer ses partitions du patronyme de son époux, jusqu’au décès de ce dernier en 1910. Elle put alors voyager pendant quelques années en Europe, avec des concerts à Dresde, Leipzig ou Munich, avant de regagner les USA. Elle a laissé un catalogue varié, où voisinent œuvres symphoniques et concertantes (en petit nombre), piano, musique de chambre, pages vocales et chorales, ainsi qu’un opéra, Cabildo (1932), qui ne fut pas représenté de son vivant. Le présent album offre un bel éventail de sa production.
Créée triomphalement à Boston le 30 octobre 1896, la seule symphonie d’Amy Beach, qui porte le sous-titre « gaélique », s’inspire d’airs irlandais et écossais, mais aussi anglais. Cinq ans auparavant, une messe qui portait sa signature l’avait déjà fait remarquer, au point de la comparer audacieusement à Cherubini et même à Bach, comme le précise un texte de la musicologue Susanne Wosnitzka. On est séduit par la beauté de l’inspiration qui traverse cette symphonie, dont une version par l’Orchestre symphonique de Nashville, placé sous la direction de Kenneth Schermerhorn (Naxos, 2003), n’avait pas dévoilé toutes les richesses. Vaste partition en quatre mouvements d’une durée globale proche des trois quarts d’heure, la Symphonie « gaélique », traversée par des élans romantiques et servie par une orchestration riche et haute en couleurs, fait souvent penser à l’univers de Dvořák, dont la création newyorkaise de la Symphonie du Nouveau-Monde date de fin 1893. Le troisième mouvement d’Amy Beach, Lento con molto espressione, est un superbe moment de lyrisme de treize minutes, au sein duquel un violon épanoui fait, dans un climat chatoyant, un éloge éperdu de la nature. La variété des thèmes (évocation d’un voyage maritime tourmenté dans l’Allegro con fuoco initial) et la splendeur des développements séduisent l’auditeur de bout en bout et permettent de poser une évidente question : pourquoi une telle symphonie ne fait-elle pas l’objet de programmations régulières ? On qualifiera la version qu’en propose le Symphonique de Munich, que dirige le chef franco-suisse John Bastian (°1980), de visionnaire, dans une atmosphère gorgée de sève et de vitalité dynamique. Une magistrale leçon orchestrale !
Les compléments de programme révèlent d’autres qualités d’Amy Beach. Sur le texte Eilende Wolken, Segler der Lüfte de Schiller, Maria Stuart (1892) affronte la prison, scène à laquelle la mezzosoprano américaine Angela Brower, spécialiste de Richard Strauss, insuffle une poignante intensité dramatique. L’air pour soprano et orchestre La Fille de Jephté (1903), évoque le personnage biblique du Livre des Juges, qui, suite à un vœu imprudent, doit sacrifier son enfant à Dieu. Sur un texte du poète et traducteur nancéien Charles-Louis Mollevaut (1776-1844), toute l’infortune de la malheureuse héroïne est confiée à la soprano franco-allemande Camille Schnoor, une habituée de Mozart, Puccini, Tchaïkowsky ou Offenbach, qui souligne de façon très émouvante, avec des aigus perçants, le tragique de la funeste situation. La même cantatrice dessine avec une exquise finesse et un sentiment éthéré la mélodie Extase (1893), d’après le poème de Victor Hugo, paru en 1829 dans Les Orientales. Le programme s’achève par un langoureux et élégant Bal masqué, orchestration par Amy Beach de sa pièce de salon pour piano du même titre.
Cet album, enregistré avec fougue et engagement par l’Orchestre symphonique de Munich et son chef Joseph Bastian, qui a pris ses fonctions depuis la saison 2023/24, est une belle découverte, celle de l’indiscutable talent d’une compositrice, dont l’exploration du catalogue mérite un élargissement. On notera que les trois pages vocales sont des premières mondiales au disque.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix