Anthologie de l’œuvre d’orgue de Joseph Jongen au Bozar
Joseph Jongen (1873-1953) : Toccata Op. 104. Deux pièces Op. 53. Petit prélude W319. Air extrait de la Suite en ré BWV 1068. Quatre pièces Op. 37. Sonata Eroica Op. 94. Cindy Castillo, orgue de la salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Décembre 2020. Livret en français, néerlandais, anglais, allemand. TT 68’46. Musique en Wallonie MEW 2001
Malgré une cinquantaine d’enregistrements de la Sonata Eroica, on compte fort peu de disques entièrement consacrés à la production organistique de Joseph Jongen. Parmi eux, Ulrich Meldau à Zurich (Motette, 1994) et deux volumes par Anton Doornhein à la Marien Basilika de Kevelaer et à Notre-Dame de Laeken (D.E. Versluis, février-juin 2007). Le présent album pouvait briguer une place d’honneur dans la discographie. En guise d’atout-maître, un splendide livret richement illustré de documents et photos d’époque, instruit par une présentation du compositeur et des œuvres signée de John Scott Whiteley, auteur d’un fondamental ouvrage (Joseph Jongen and his organ music, Hilsdale, Pendragon Press, 2009). Les pièces sont analysées avec clarté, perspicacité, et toute l’aisance d’un regard de spécialiste. On regretterait seulement l’absence des registrations employées durant les sessions.
Autre auspice favorable, le choix de l’instrument et du lieu, associés à la création de l’opus 94, écrit en 1930 pour l’inauguration de l’orgue Stevens de la salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Une palette conçue par Paul de Maleingreau, annihilée par un incendie en 1967. Après les flammes, un déluge en janvier 2021 ruina la reconstruction achevée en 2017, victime des eaux déversées pour éteindre un feu de toiture. L’enregistrement fut réalisé juste avant ce sinistre et endosse une dimension poignante autour de ces tuyaux malmenés par la fatalité, ramenés au mutisme après un précédent silence demi-séculaire et quelques CDs (A Wake of Music par Olivier Latry, un programme Bernard Foccroulle par Yoann Tardivel) qui en acquièrent valeur documentaire au même titre que cet album publié par Musique en Wallonie. Après des programmes vocaux, chambristes et concertants, ce label poursuit ici son exemplaire valorisation de l’œuvre de Jongen. L’on est heureux que le choix se soit porté sur Cindy Castillo, l’entreprenante artiste et pédagogue que l’on sait, professeure à l’IMEP de Namur, titulaire en la Basilique du Sacré-Cœur de notre capitale belge.
Des phrasés vifs (le diptyque opus 53), une pureté de trait qui flatte l’essence néoclassique du Petit prélude annoncent l’esthétique qui va s’exprimer dans la lecture des deux partitions majeures. On peut apprécier comment l’interprète resserre la trame des Quatre pièces, ou estimer que dans une acoustique sèche leurs élégants parfums s’en trouvent survolés plutôt qu’exhalés. En dépit d’une attentive gradation dynamique dans Cantabile et Prière, et d’une inexorable construction dans Choral, l’alternative de Peter van de Velde à Anvers (Aeolus) conserve un préférable attrait. La Toccata, la flamboyante Sonata se distinguent certes par une prestation à la hauteur du panache et de la virtuosité requis, mais l’approche se soustrait-elle toujours à l’aridité ou à la schématisation ? L’honnêteté amène surtout à signaler qu’une image sonore terne, étriquée et opaque ne permet pas à ce disque d’assumer toutes ses promesses. Grand dommage car comme nous l’avons dit, notice et contexte prédisposaient cette réalisation à s’installer comme référence et non comme réussite boiteuse.
Son : 6 – Livret : 10 – Répertoire : 7-9 – Interprétation : 8,5
Christophe Steyne