Pierre#Slinckx+Cindy#Castillo=organique&électronetto
Pierre Slinckx (1988-) : C#2. Pierre Slinckx, électronique ; Cindy Castillo, organetto. 40’56" – 2023 – Livret : anglais. Cypres. CYP0620.
Depuis quelques années, Pierre Slinckx creuse un sillon à part dans la musique contemporaine, pas seulement en raison de la dénomination rigoureuse, systématique et à la dérision sèche, de ses compositions (initiale de l’interprète, hashtag, numérotation – comme les rues de New York) mais surtout par une esthétique spécifique, poussée peu à peu, album après album (lui-même organisateur d’événements musicaux, il se débrouille pour être régulièrement édité – avec l’ensemble MP4, avec l’ensemble Hopper), sur un fondement, qu’il n’est pourtant pas le seul à exploiter, de sons acoustiques intriqués dans une trame électronique aux accents déroutants et attachants.
C#2, intitulé en référence à Cindy Castillo avec qui il collabore (sur disque) pour la deuxième fois, succède à C#1 (bien sûr), où le musicienne délaisse l’orgue Kleuker du Chant d’Oiseau (Bruxelles) pour l’organetto, un orgue portatif médiéval, pas plus de deux octaves, un jouet face à l’orgue d’église (le duo s’est donné le plaisir de tester la réverbération des pierres de plusieurs lieux religieux de renom), inégal, imparfait et à la domestication malaisée (le soufflet influence hauteur et timbre avec une prévisibilité parfois aléatoire) – un drôle d’instrument qu’on a envie de triturer, de soulever, de retourner (peut-être même de souffler dedans) lorsqu’on le croise en concert et qui produit des sons auxquels on s’attend plus à le voyant qu’en le nommant, parfois si complices des structures électroniques qui l’accompagnent qu’on hésiterait quant à l’attribution des rôles.
Slinckx insère à l’occasion du field recording (ces cris d’enfants qui clôturent C#2.2, de ceux dont, quand ils sont suffisamment lointains et indistincts, on ne sait jamais très bien s’ils sont de joie ou d’effroi – alors qu’ils signent le plus souvent la vie, dénuée d’arrière-pensée, au point qu’il faudrait peut-être parler de life recording), dans une étendue sonore qui se nourrit d’une nostalgie issue du présent, celle des enfants qui naissent, qui nous font père ou mère et nous replongent, incidemment mais avec constance, dans notre propre vie d’avant l’adultisme, d’avant le travail, d’avant la responsabilité – celle de l’évidence à peine magique où la tartine atterrit toujours dans l’assiette, où la maison est chaude quand il gèle et éclairée quand la nuit tombe.
A la fin de C#2.4, les cris d’oiseaux sont-ils des cris d’oiseaux ? Ou font-ils partie des pépiements de notre mémoire qui s’égare dans ses réminiscences ? Le compositeur alimente l’incertitude en convoquant des sons d’hier (pour moi, d’avant-hier), qu’il puise dans l’univers du jeu (vidéo – Lego ne tinte pas pareil), déterrés de puces saturées et qu’il se plaît à empiler (comme dans C#2.5 ou, plus encore, dans l’imposant C#2.3), infiniment sans que jamais la pyramide n’accède au ciel – dans un de ces exercices d’artefact sonore qu’il affectionne.
Les trente secondes de Frère Jacques concluent, par une double voix de petite fille et avec une fraîcheur spontanée, un bouquet d’inspirations le plus souvent abstraites, intrinsèquement musicales, d’idées parfois techniques, de sons entendus dans un recoin plus ou moins exploré de son cerveau, que Pierre Slinckx transmute en une matière musicale comme un sculpteur taille le marbre : des gros traits, qu’il dégrossit, affine, privilégiant ici un élancement puissant, là une idiosyncrasie – son sillon à part.
Son : 8 – Livret : 5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken