Au coeur de la rigueur luthérienne

par

VATER UNSER IM HIMMELREICHCantates sacrées allemandes. Oeuvres de Johann Hermann Schein, Samuel Eccard, David Pohle, Franz Tunder, Johann Fischer, Johann Wolfgang Franck, Johann Christoph Bach, Johann Michael Bach, Georg Böhm, Johann Theile, Johann Rudolph Ahle, Heinrich Schwemmer et anonyme. Paulin BÜNDGEN (contre-ténor), Ensemble Clematis. 2017-DDD-79'46-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Ricercar RIC 389

Une fois encore, Jérôme Lejeune nous a concocté un de ces disques dont il a le secret dans l'un des répertoires qu'il privilégie dans son vaste et superbe catalogue: la musique liturgique luthérienne du 17e siècle. L'ensemble Clematis nous gratifie cette fois d'un cd bien rempli de précieuses pépites... dont la sévérité en découragera peut-être certains. Pas moins de douze compositeurs (ainsi qu'un anonyme) s'y succèdent, parmi lesquels des disciples de Heinrich Schütz: David Pohle et Johann Theile, ainsi que des noms bien connus tels que Tunder, Schein, Eccard, Fischer, Böhm, auxquels se joignent deux ancêtres de Jean-Sébastien (Johann Christoph et Johann Michael) et des maîtres relativement moins connus tels que Johann Wolfgang Franck ou Heinrich Schwemmer.

Le point commun entre ces diverses partitions, hormis leur destination spirituelle, est qu'elles proviennent toutes d'une collection rassemblée par Gustav Düben, maître de chapelle à la cour de Suède, une collection encore enrichie par la suite et actuellement conservée à l'Université d'Uppsala. La plupart de ces oeuvres sont de courtes cantates chantées par un contre-ténor, en l'occurrence Paulin Bündgen, séparées par des partitions instrumentales dominées par les cordes. Deux l'emportent par la durée: Herr, wenn ich nur dich habe de David Pohle et Weil Jesu in meinem Sinn de Johann Wolfgang Franck, un compositeur plutôt tourné vers l'opéra qui servit à Ansbach puis à Hambourg. Impossible de tout décrire dans le cadre de cet article mais attardons-nous tout de même sur le choral Vater unser de Georg Böhm, à l'origine destiné à l'orgue et transcrit ici pour quatre instruments. Sublime pièce qui, comme le souligne Jérôme Lejeune, ressemble à un mouvement lent de concerto pour violon où l'instrument soliste serait soutenu par l'ostinato des trois autres voix, avec cette caractéristique remarquable que la transcription ne perd ni n'ajoute aucune note par rapport à l'original.

Epinglons encore une très belle sonate à six violes d'un auteur inconnu, très élégante dans son introduction et qui comporte une étonnante bataille en sa section centrale. Et nous ne pouvons que nous arrêter devant le célèbre Lamento de Johann Christoph Bach, l'ancêtre que Jean-Sébastien qualifiait de « compositeur profond », une page qui n'est pas sans rappeler, par son désespoir retenu et sa structure assez « libre » plus que par son style, le célèbre "O Solitude" de Purcell. Introspective et virtuose tout à la fois, la vision que l'ensemble Clematis a de cet univers austère, voire aride, restitue avec brio et rigueur les trésors qu'il recèle; une recréation, en tout cas, d'un climat élégiaque et d'un monde qui nous fascine et nous permet de comprendre un peu plus, à chaque nouvelle parution, la genèse de cette aventure particulière qui a mené à Jean-Sébastien Bach. Malheureusement, Paulin Bündgen manque quelque peu de charisme, ce qui est nettement perceptible dans le Lamento dont nous avons parlé et qui a connu des interprètes à notre avis plus inspirés : Paul Esswood, Gérard Lesne, René Jacobs, Marie Kozena, pour n'en citer que quelque-uns. On regrettera aussi le manque de contraste d'une pièce à l'autre: de ce fait, l'ensemble revêt un caractère particulièrement ardu lors d'une écoute en continu. Comme d'habitude, la notice du « patron » de Ricercar est un modèle d'érudition et la prise de son est superbe.

Bernard Postiau

Son: 10 Livret: 10 Répertoire: 10 Interprétation: 8

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