Au-delà de la nuit 2 : un pari sur l’avenir
Dans le le Grand Salon du Botanique, je m’installe cette fois (pour cause d’arrivée tardive, la faute à une réunion, que je quitte pourtant avant la fin) sur la mezzanine (au niveau visuel, ce n’est pas la meilleure idée car je me coupe d’une partie de la scène, mais ça m’ouvre à une plaisante conversation avec des membres des Amis d’Arsonic, venus en autocar – et en nombre) pour un programme, installé dans le temps, qui propose 3 fois 3 concertos sur 6 ans par 3 compositeurs du paysage créatif belge.
Avant cela, si, il y a deux ans, Bruno Letort s’en prenait à La sollasitude de Stromae pour en proposer une vision, personnelle et impliquée (il intervient sur plusieurs morceaux de l’album du chanteur), aujourd’hui, c’est Daniel Capelletti, pianiste, compositeur et arrangeur (dans les champs du classique, du jazz, du rock et de la chanson) qui propose, avec …calme et volupté…, ses variations sur l’album Il Viaggio, voyage de retour aux sources pour la musicienne jazz carolorégienne d’origine italienne Mélanie De Biasio (son père quitte les Abruzzes pour travailler dans les mines hennuyères) – mu par les cordes, Capelletti fait moutonner l’ambition, le charme, l’esprit à la fois mélancolique et aventureux de l’œuvre originale.
En faisant le choix de la forme concertante, les Nuits Botanique et Musiques Nouvelles privilégient un dialogue entre soliste et orchestre au service de l’expressivité, de l’émotion : le Concerto con piano de Jean-Paul Dessy s’y plonge avec gourmandise, mené par le piano de Frank Braley, instrumentiste aussi français que belge, premier prix 1991 du Concours Reine Élisabeth – à un premier mouvement à l’appel cinématographique (surgissent sur mon écran intérieur les grandes gueules du cinéma d’Henri Verneuil), succèdent l’intrigue et l’ascension paroxystique, des espaces de tension noyautés par un désordre sous-jacent, un piano à l’esprit un brin récalcitrant, qui parle, d’une façon peut-être trop convenue, de beauté, fragile et incertaine.
Avec un titre, Rousseurs amères, qui me rappelle les moqueries de l’école primaire (le mot harcèlement, qui existait, ne faisait pas partie du vocabulaire scolaire – les modes médiatiques se chargent depuis de nommer chaque phénomène sociologique en usant le mot comme si sa répétition-guérilla pouvait anéantir la chose), Jean-Luc Fafchamps offre à la soliste Tatiana Samouil (en forme), à l’éducation musicale russe et lauréate 2001 au Reine Elisabeth, son concerto pour violon et orchestre à cordes, dont le premier mouvement (retourné) déploie son thème de six notes comme le lys ses pétales, avant d’avancer dans cet on-ne-sait-pas-bien-où-on-va-mais-on-y-va qui fait la force d’un compositeur qui aime brouiller les pistes, redoublant d’énergie, le violon butant sur le mur, reprenant l’élan, encore puis encore, pulvérisant de la brique une poussière rouge terre, qu’on suit en peinant à reprendre son souffle (et pourtant, oui), qui interpelle et pour lequel on prend sans l’envisager (où est notre volonté critique ?) le risque de se perdre – dans une atmosphère qui, plus on avance, se noircit, passe du secoué au lessivé et laisse groggy, ébahi, épanoui.
Vêtu avec la luminance assumée d’un lutin des bois, le belgo-américain Pierre Fontenelle reçoit des mains d’Apolline Jesupret Hêtre, son nouveau concerto pour violoncelle : trois mouvements étendards de l’existence, Prendre racine, S’élever, Éclore, comme sont trois les fondamentaux de la vie – croissance, métabolisme, reproduction. Et Fontenelle donne la ligne, secoue l’arbre pour en récolter les cerises, y lance le bâton pour en faire tomber les noix, use du corps de l’instrument pour rythmer le jeu (et entraîner l’ensemble et percuter l’auditeur), sert la tendre frénésie de Jesupret comme la sensibilité pour l’environnement (certes générationnelle, mais pas que), qu’elle exprime, avec la retenue exaltée qui la caractérise, dans une musique à la fois novatrice et respectueuse des acquis.
Séances de rattrapage : les 6 et 7 octobre 2025, à Arsonic (Mons) et au Palais des Beaux-Arts de Charleroi ; le 13 mars 2026 au Grand Manège de Namur.
Botanique, Grand Salon, Bruxelles, le 30 mai 2025
Bernard Vincken
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