Tatiana Samouil, violoniste 

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Figure incontournable du violon en Belgique, Tatiana Samouil a été finaliste du Reine Elisabeth et violon solo de l’Orchestre Symphonique de La Monnaie. Elle est désormais une soliste et une chambriste acclamée qui enseigne en Belgique et en Espagne. Alors qu’elle fait paraître un album à l’âme musicale Tzigane chez Indesens, la musicienne répond aux questions de Crescendo-Magazine    

Votre nouvel album se nomme “Gipsy Journey”, il explore des musiques d’Enescu, Ravel,Weinberg et Bartók. Comment avez-vous conçu ce programme ?

J’ai été invitée pour un récital par le Festival Radio France à Montpellier. La thématique que nous a donnée le festival et qui avait été déterminée avec le Mémorial du Camp de Rivesaltes était d’évoquer la mémoire des Roms. La première œuvre que David Lively et moi-même avons immédiatement choisie était la Sonate n° 3 d'Enescu qui est un compositeur très cher à mon cœur. Le génial George Enescu, qui est, à mon sens, une des plus importantes figures et personnalités du XXe siècle, n’occupe pas la place qui lui revient et qu’il mérite, y compris dans le répertoire des violonistes, sans même parler de ses œuvres symphoniques ou de son opéra !

La famille de mon père est originaire de la même région de Roumanie que celle d’Enescu. Si on en croit la légende, je suis la descendante de plusieurs générations de lautar (musiciens traditionnels en Roumanie et Moldavie) ! Pendant que je préparais cette sonate, mon père m’a raconté beaucoup d’histoires incroyables qui, dans mon esprit, ont fait directement le lien avec les thèmes qu’Enescu a utilisés dans la sonate. Le récital s’est tellement bien passé que nous avons décidé avec David de sortir ce « live » en CD. Pas une note n’a été retouchée, vous écoutez ici le concert live !

On connaît assez bien les œuvres d’Enescu, Ravel et Bartók, mais la Rhapsodie sur un thème moldave de Weinberg est très peu connue. Que pouvez-vous nous en dire ?

Mon père est roumain et moldave, alors tout ce qui vient de Moldavie me touche directement et m’émeut. J’ai découvert cette Rhapsodie il y a quelques années. Ce concert était une occasion rêvée pour intégrer la musique de Weinberg au récital.

La musique de Weinberg semble connaître un revival assez vivace et chaque mois nous recevons des parutions qui lui sont consacrées. Qu’est-ce qui, selon vous, est à la base de cet intérêt pour Weinberg ?

Tout d’abord, sa musique est géniale ! Jugez-en ! Ce compositeur au destin hors du commun naît en Pologne de parents immigrés de Kichinev, la capitale de la Moldavie. Il se réfugie en Union Soviétique en 1939 alors que sa famille entière, qui est restée en Pologne, va mourir dans les camps de concentration. Il était très aimé de Chostakovitch, il était absolument intégré à la vie musicale de Moscou... Sans le savoir, ma première rencontre avec Weinberg a eu lieu quand j’avais 4 ans, en voyant les dessins animés dont il avait écrit la musique.  Il a aussi beaucoup écrit pour le cinéma dont la musique du film « Quand passent les cigognes » très connu en Europe et Palme d’or à Cannes en 1957 (entre autres distinctions). 

Le destin tragique de Weinberg est un miroir de l’histoire du 20e siècle, surtout pour l’Europe de l’Est et la Russie ... Ma famille aussi a dû fuir les guerres ou a dû quitter son pays, ainsi mon père est né dans un camp de concentration... mais ça c’est une autre histoire .

C’est votre deuxième album avec, au piano, David Lively. Dans ces œuvres, l’équilibre entre les deux instruments est prépondérant. Comment avez-vous préparé cet album ?

En réalité, notre collaboration a commencé lors de la saison 2020-21. Nous avons enregistré l’intégralité de la musique de chambre de César Franck. Le quatuor Malibran est aussi partie prenante dans ce projet. Un très beau coffret de 4 CD, paru chez Cyprès . Depuis, nous avons beaucoup joué ensemble, discuté, voyagé. Nous nous préparons entre Paris et Bruxelles et j’espère que ça va continuer encore de nombreuses années !

Vous êtes également active avec le Malibran Quartet. En quoi l’activité de chambriste dans un ensemble régulier est-elle importante pour vous ?

Je ne dirais pas que le Malibran Quartet est très régulier. A mon grand regret, mes autres engagements de soliste et l’enseignement ne me laisse pas assez de temps pour me consacrer au quatuor autant que je le souhaiterais. Néanmoins nous avons créé ce quatuor pour explorer la beauté du formidable répertoire pour quatuor à cordes... Rien ne surpasse à mon avis les chefs-d’œuvres de Beethoven , Tchaïkovski , Chostakovitch, Bartók... Je me réjouis particulièrement de la parution prochaine chez Cyprès d’un enregistrement avec  les quatuors de Huybrechts !

Dans vos activités, on relève l’Enseignement avec votre classe au Conservatoire Royal d’Anvers. La pandémie actuelle, si elle est une épreuve pour les musiciens, elle l’est particulièrement pour les jeunes artistes en devenir. Comment parvenez-vous à mobiliser vos élèves sur leurs objectifs alors que les incertitudes sont énormes ?

Aujourd’hui je suis professeur au Conservatoire Royal de Bruxelles depuis septembre 2021 et au Centre Superior des Arts « Musikene » à San Sebastián. Le début de la période Covid était une épreuve sans précédent. Nous ne savions pas comment réagir et nous n’avions pas de recette toute prête. Pour finir, c’est ensemble que nous nous sommes sortis de cette situation. Pour moi la possibilité de continuer à jouer, même online, et voir ces jeunes en face de moi, tout cela m’a donné de la force et un sens à toute mon existence musicale. En effet, il y avait de quoi tomber en dépression pendant tous ces mois sans concerts. Cela étant, quand je savais que mes élèves étaient derrière l’écran (en Espagne, le confinement strict a duré 58 jours sans qu’ils puissent sortir) cela m’a donné la force de faire mes gammes avant les cours, de sourire et de leur dire que, dans une situation pareille, la meilleure chose à faire est d’essayer d’exercer notre devoir de musicien le mieux possible. Et si chacun fait son travail de cette façon, tout ira bien dans le monde ! Le lien établi pendant ces mois avec mes élèves est très fort et je suis persuadée que cela va rester pour nous tous comme une expérience unique.

Le site de Tatiana Samouil : www.tatianasamouil.com

  • A écouter : 

Gipsy Journey. Oeuvres de Bartók  / Georges Enescu / Igor Stravinsky / Mieczyslaw Weinberg. Tatiana Samouil, violon : David Lively, piano.  1 CD Indesens. 

 

Crédits photographiques : Rui Moreira

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

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