Au Palais Garnier, un fascinant Mayerling 

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En ce début de saison 2022-2023, le Ballet de l’Opéra de Paris inclut à son répertoire Mayerling, ballet de Kenneth MacMillan qui avait été créé à Covent Garden par le Royal Ballet le 14 février 1978. En trois actes et douze scènes, le chorégraphe et la scénariste Gillian Freeman se basent sur un fait historique, le double suicide de l’Archiduc Rodolphe, héritier du trône impérial d’Autriche-Hongrie, et de sa jeune maîtresse, Marie Vetsera, survenu dans un pavillon de chasse à Mayerling le 30 janvier 1889. Leur ouvrage explore autant les mécanismes de la passion jusqu’à leur paroxysme que leur incidence sur les enjeux politiques du moment. 

En co-production avec le Royal Opera House, les décors et costumes de Nicholas Georgiadis et les lumières de John B. Read restituent un univers sombrant dans la décadence et l’anarchie, qui tente de s’agripper encore à un apparat illusoire, corrodé par une propension au libéralisme novateur et à la débauche. L’Archiduc Rodolphe en est l’incarnation par sa psychologie complexe, héritée de sa mère, Sissi, l’attirant inéluctablement vers la folie, sa sensualité débordante qui lui fait accumuler les liaisons plus ou moins longues et son addiction à l’alcool et aux drogues. Ceci justifie le fait que la chorégraphie de Kenneth MacMillan le confronte à sept pas de deux, aussi exigeants que virtuoses, avec cinq partenaires différentes. 

Quant à la partition, elle a été habilement conçue par le chef d’orchestre John Lanchbery qui a puisé dans la vaste production de Franz Liszt en utilisant de larges extraits de la Faust-Symphonie, de quatre des poèmes symphoniques (Festklänge, Tasso, lamento e trionfo, Mazeppa et Héroïde funèbre) et de la Première des Méphisto-Valses, et en orchestrant nombre de pages pour piano incluant diverses Études d’exécution transcendante et pièces de fin de carrière comme la Czárdás obstiné. Et leur enchaînement complexe en une partition durant plus de deux heures est remarquablement mis en valeur par la baguette de Matin Yates qui dirige l’Orchestre de l’Opéra National de Paris en dynamisant ce véritable écheveau qui relie des segments aussi disparates que fascinants. 

Sur scène, Mathieu Ganio brûle les planches avec son incarnation de Rodolphe dans laquelle il se jette à corps perdu pour en révéler la pitoyable grandeur, osant les pirouettes les plus insensées et les csardas les plus frénétiques pour laisser éclater sa rage impuissante face à sa quête d’amour inassouvie, ses dangereux démêlés avec la justice répressive et son aspiration à un suicide libérateur. Par rapport à ses personnages princiers, jamais ne l’a-t-on vu aussi convaincant dans un rôle qui lui colle à la peau ! L’on en dira de même de Ludmila Pagliero qui campe Marie Vetsera avec ce semblant d’ingénuité vite résorbé pour être la femme déterminée, éperdument passionnée, qui se jette sur son amant pour l’accompagner jusque dans la mort. Tout aussi saisissante, la Comtesse Larisch de Laura Hecquet, ex-maîtresse de l’Archiduc, aimé inconditionnellement au point de seconder n’importe lequel de ses désirs. Bleuenn Battistoni en est le contre-exemple en incarnant une aguicheuse Mizzi Caspar, autre conquête sulfureuse de Rodolphe, alors qu’Eléonore Guérineau est la malheureuse Princesse Stéphanie, son épouse sacrifiée. Héloïse Bourdon personnifie une Sissi terrifiante par son incapacité à manifester le moindre amour à son fils. Par contre, une sincère affection transparaît dans le constant soutien que lui témoignent le cocher Bratfisch d’Axel Magliano, osant les tours les plus fous pour le divertir, ainsi que les amis fidèles (le Prince Philip de Jean-Baptiste Chavignier, le Comte Hoyos de Mickaël Lafon, le Loschek d’Adrien Bodet). Sous le carcan de l’étiquette, s’empêtrent l’Empereur François-Joseph de Yann Chailloux, le Comte Taafe d’Arthus Raveau, le Colonel Bay Middleton de Pablo Legasa. Comme toujours, l’ensemble du Corps de ballet est remarquable dans cette somptueuse production qui entre en fanfare au répertoire sous les acclamations d’un public conquis.

Paul-André Demierre

Paris, Palais Garnier, 12 novembre 2022

Crédits photographiques : Ann Ray



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