Une CENDRILLON à vous faire rêver

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Tandis que l’Orchestre Pasdeloup, remarquablement dirigé par le chef estonien Vello Pähn, nimbe d’une indicible tristesse l’Andante dolce qui sert d’introduction à Cendrillon, le ballet en trois actes que Sergey Prokofiev élabora entre 1940 et 1944, le spectateur découvre le décor habile de Petrika Ionesco consistant en une véranda délabrée avec quelques tabourets et une mauvaise copie de la Statue de la Liberté, jouxtant une imposante cheminée dont le rebord comporte nombre de pendules. Fichu grisâtre noué sur ses cheveux, revêtant des hardes usagées sous tablier à rayures selon les dessins d’Hanae Mori, la pauvre Cendrillon «rêve de robe blanche teintée d’un peu de rose… légèrement argentée, en ne songeant qu’à une chose : devenir une star ». C’est ce que déclarait, en octobre 1986, Rudolf Nureyev, à propos de sa conception chorégraphique.

Et c’est donc pour célébrer les quatre-vingts ans de ce créateur, disparu il y a vingt-cinq ans, que le Ballet de l’Opéra reprend, sur la scène de Bastille, sa production qui n’a pas pris une ride ; car elle transpose l’action dans les studios d’Hollywood des années trente en voulant rendre l’héroïne beaucoup plus humaine et en métamorphosant le Prince Charmant en acteur-vedette et la Fée marraine en producteur de cinéma. Et l’on se gausse d’abord des deux sœurs, campées à la perfection par Dorothée Gilbert et Ludmila Pagliero, bécasses en nuisette, qui arborent ensuite jupe bleue ou rouge sous d’énormes nœuds dans la perruque et qui se prennent les pieds dans leur ceinture en déambulant comme des oies sous les ordres de leur mère, tout aussi cocassement personnifiée en travesti par Aurélien Houette, exhibant fièrement bibi à aigrettes, boa et tenue outremer, alors que le père (Erwan Le Roux) sacrifie continuellement à la dive bouteille. Mais sous les traits de Valentine Colasante, Cendrillon est une image de tendresse sereine puisque, malgré les méchantes brimades, elle sourit à la vie en profitant d’un moment de solitude pour se déguiser en Charlot et faire danser le porte-manteau en imaginant que son partenaire est Gene Kelly ou Fred Astaire. Tandis que Paul Marque, en Maître de ballet, s’escrime à inculquer les notions de base aux deux pimbêches et à la Marâtre, un cycliste chute dans le hall d’entrée ; relevé avec compassion par la souillon aussitôt morigénée, il ensorcelle la famille, immobilisée en un instant, fait intervenir les modistes et colorie les quatre saisons en vert, rouge et or, brun et vif argent avant de déployer son manteau magique : il devient ainsi le Producteur (superbe Alessio Carbone) nous entraînant dans le décor à tours gigantesques du Metropolis de Fritz Lang, flanqué d’effigies longilignes de pin-up rappelant tant Marilyn que Betty Boop. Pendant que le Corps de ballet développe la Valse mauve, l’édifice central s’entrouvre pour faire défiler douze automates, s’avançant comme les heures menaçantes, puis cédant la place à une voiture de luxe qui vous emmène aux studios.

Au deuxième acte, sur le plateau de tournage, s’affaire le Directeur de théâtre (Nicolas Paul) malmenant son jeune assistant (Francesco Mura), tandis que l’on tourne en parallèle de grotesques scènes de Trivial Pursuit, un pastiche XVIIIe (Burlesque Parade) et un remake de King Kong avec sacrifice de tahitiennes. Les bouts d’essai d’une Cendrillon dégagent un escalier de parade où se pressent des figurants en costumes dorés. Paraît enfin l’Acteur-vedette, incarné par Karl Paquette qui, après vingt-cinq ans de carrière, fait ses adieux à l’Opéra dans ce rôle qui lui sied à merveille ; pris d’assaut immédiatement par les deux sœurs, il préfère esquisser deux entrechats avec le maître à danser, avant que les flashes intempestifs des photographes ne mitraillent l’entrée fracassante de la belle inconnue, nimbée d’une blancheur immaculée ; et ce véritable pas de deux, empreint de suave mélancolie, est l’un des temps forts qu’interrompra brutalement l’arrêt implacable des heures qui se roulent à terre pour atteindre les coulisses.

Le dernier acte n’est d’abord qu’inaction sur un plateau désert où, rapidement, apparaissent l’acteur et ses comparses par groupe de huit, qui écument taverne espagnole, bouge chinois et cabaret russe afin de retrouver la disparue qui se terre devant sa cheminée. L’arrivée de son prince charmant, la pantoufle de vair devenue chaussure sertie de rubis, le décor de Metropolis amènent le dénouement où, en de superbes portés, la star exprime simplement à celle qu’il aime son émotion… Et le public le fêtera avec gratitude, lui qui s’en va vers d’autres horizons, tout en plébiscitant tapageusement l’ensemble du plateau.

Paul-André Demierre
Paris, Opéra Bastille, le 28 décembre 2018

Crédits photographiques :  Sébastien Marthe

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