Autoportrait d’un grand fauve du piano à travers celui de Mozart 

par

A Tribute to Mozart. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Fantaisies, Rondos, Allegros, Adagio et Andante, Concerto pour piano en do majeur K 467. Orchestre de studio. Vladimir Feltsman, piano et direction. 1996-2024. Livret de Vladimir Feltsman en anglais. 124’. 2 CD Nimbus NI 6448.

Le choix de consacrer à Wolfgang Amadeus Mozart ce très rare récital par le pianiste russe Vladimir Feltsman éveille immédiatement l’intérêt. Âgé de 73 ans, le musicien connut un destin mouvementé. Concertiste à 12 ans, il entra au Conservatoire de Moscou dans la classe de Yakov Flier avant de remporter le Concours Long-Thibaud en 1971. Ayant exprimé officiellement son désir d’émigrer, les autorités russes s’acharnèrent à briser sa carrière jusqu’à ce que la Perestroïka lui permette d’émigrer aux États-Unis, en 1987.  Alfred Schnittke lui dédiera sa Sonate pour piano dont il sera le créateur. Éclectique, il aborde Messiaen, Schoenberg comme Chopin ou Debussy et, ici, Mozart. Il enseigne à New-York et ses apparitions en France ont été exceptionnelles (Gaveau 2018 notamment).

Loin de l’esthétique épurée, labile et dolente qui s’est imposée  au disque et au concert il y a plus d’une dizaine d’années, édulcorant parfois le grand répertoire pianistique, le jeu de Vladimir Feltsman saisit instantanément par sa vitalité, sa vigueur, sa tendresse. Sans éluder l’âpreté ou l’exubérance, sa puissance ne s’exprime jamais pour elle-même. Au contraire, elle se met au service d’un monde intérieur aux facettes aussi multiples que contradictoires..  

Dès la Fantaisie en ut mineur K475, l’autorité, la plénitude et la vélocité aérienne s’articulent naturellement. Le discours suit son cours changeant, poignant - début de l’Allegro en si b majeur K 400 où l’air se raréfie !-  jusqu’à cet instant où, d’une pirouette élégante, le compositeur s’éclipse (Neuf Variations sur un menuet de Duport K 573). 

La sensation d’équilibre repose en particulier sur la densité du jeu de la main gauche, ce que suggère le musicien lui-même dans son intéressante présentation. Par ailleurs, envisageant diverses versions (par exemple pour la Fantaisie en ré mineur  K 397) il propose la sienne, laissant ouvertes les autres possibilités.

Enfin, la forme fractionnée du programme (pièces d’une durée de 5 à 14 minutes destinées à des occasions diverses) comme la pulsion dynamique frôlant parfois le vide (Rondo en la mineur) rendent compte d’un versant mozartien fréquemment éludé qui prend ici tout son sens. En effet, derrière l’ingénuité, se dessine un espace « fracturé », vacant. Le caractère d’improvisation, voire d’errance, jusqu’à l’insoutenable beauté de la Fantaisie en do mineur op. K 396,  accentue encore cette ambiguïté blessée. Si bien que, peu à peu, c’est le reflet inversé de l’interprète lui-même qui apparaît.

La place du Concerto en do majeur N° 21 K 467 en conclusion du second disque se révèle d’autant plus significative. Enregistré à Moscou en juillet 1996, il sonne fluide et précis dirigé du clavier par Vladimir Feltsman, trente ans plus tôt. 

Son : 10    Notice : 10    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Bénédicte Palaux Simonnet

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.