La surprise avec le quatuor Les Dissonances.

par

dig

Le public ne s’y est pas trompé, particulièrement nombreux pour un quatuor dont chaque concert est un bonheur, avec son lot de surprises. Hans-Peter Hoffmann –indisponible- est remplacé par le talentueux Stefan Simonca-Oprita, partenaire occasionnel de David Grimal avec lequel l’entente est parfaite. Dans cette configuration renouvelée, rien ne permet à l’auditeur averti de percevoir le changement, tant l’harmonie qui règne entre les musiciens est idéale. L’écoute mutuelle, la complicité sont exemplaires. 

Bartók, pour commencer. Le 2e Quatuor, d’une dizaine d’années postérieur au précédent, est une œuvre de pleine maturité, trop rare au concert. Son premier mouvement, exalté, frémissant d’une vie constante, porte pleinement la marque de son créateur : fluidité métrique, tension, accablement confinant au désespoir, suspendu par les passages tranquillo, à la séduisante douceur. L’allegro molto qui lui succède est envoûtant par son ostinato farouche, le plus souvent confié et conduit par le second violon, et par la frénésie de l’ensemble. Pour culminer forte, le lento final se joue le plus souvent piano, voire pianissimo, fréquemment avec sourdines, pour un retour au thème initial apaisé dans son dépouillement. La perfection est au rendez-vous, technique comme musicale : la plénitude, la concentration sont extrêmes pour un instrument qui parle d’une voix, un quatuor de rêve, pour servir ce chef d’œuvre, ce soir suivi d’un silence méditatif du public. David Grimal a pris le parti d’enchaîner le 2e Quatuor de Haydn à celui de Bartók comme si, à la fin d’une nuit, l’apparition de la lumière devait nous réjouir. Il en a prévenu le public, qui s’abstiendra d’applaudir à la fin du premier. Malgré la distance qui sépare les deux œuvres, la filiation a-t-elle été plus évidente ? Passer du lento de Bartók, conclu pianissimo par des pizz aux cordes graves (la), à l’envolée du violon de l’allegro con spirito de Haydn, sur un accord tenu de si bémol, est bienvenu. D’autant que l’approche de ce quatuor se veut ce soir radicalement contemporaine : bien au-delà du pré-romantisme, on n’est plus dans le divertissement mais dans un accomplissement. On croit redécouvrir l’ouvrage tant son interprétation sort des sentiers battus. Tempi, nuances, articulations et phrasés, tout est renouvelé. Le premier mouvement, pris après Bartók, y a perdu une part de son humour, ce qui sera également le cas du menuet, bondissant, et surtout du trio. Nulle trace de la robustesse paysanne où le violoncelle et l’alto assurent le bourdon pour des unissons d’un style populaire. Nous sommes dans un autre univers, éthéré, sublimé, puissant, où le sourire est rare. L’adagio, qui s’intercalait entre les deux, retient son émotion d’autant plus juste, loin de toute effusion, pour une plénitude qui nous étreint. Le finale, effréné, comporte plus d’un passage que Bartók devait bien connaître, tant les procédés se rejoignent. Un Haydn dérangeant par la radicalité de son approche. 

Le premier des trois quatuors de Beethoven dédiés à Razumovski (op. 59 n°1, en fa majeur) fermera le programme. Toutes les qualités du quatuor s’y épanouissent, particulièrement le violoncelle chaleureux de Xavier Phillips dès le tout début. La vigueur, la fougue et la douceur s’y marient harmonieusement. L’homogénéité de l’ensemble, sa clarté aussi emportent l’adhésion. L’allegretto vivace e sempre scherzando, puissant, est pris dans un tempo très soutenu. L’adagio est admirable, fort, plein et juste, au lyrisme naturel, traduisant une intense émotion. Sa mention, « Eine Trauer-weide oder Akazienbaum aufs Grab meines Bruder », sans ambiguïté pour le franc-maçon, où le rapprochement de l’acacia et de la tombe d’un frère, attesterait une connaissance de l’ordre par Beethoven. Quoi qu’il en soit, la plainte y est clairement chantée par tous, en particulier le violoncelle, pour une méditation douloureuse. Le thème russe, l’allegro final, ne ressort que plus serein, voire joyeux de cette « Freude » qui illumine les cœurs. Là encore, les racines russes et le caractère dansant sont quelque peu estompés pour une musique sublimée, portée idéalement par des interprètes habités. Tout d’un coup, on prend conscience que, malgré leurs séductions, les versions les plus connues paraissent bien sages à la comparaison. De longues ovations saluent ce concert dont on ne sort pas indemne.

Dijon, Auditorium, le 14 décembre 2019.

Yvan Beuvard

Crédits photographiques : Yvan Beuvard

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