Autour d’un oratorio de Pâques, découverte de la musique sacrée d’Anton Schweitzer

par

Anton Schweitzer (1735-1787) : oratorio Die Auferstehung Christi ; cantate Lobet, ihr Knechte des Herren ; Missa Brevis en ut majeur. Mirella Hagen, soprano ; Henriette Gödde, alto ; Stephan Scherpe, ténor ; Tobias Berndt, basse. Gernot Süßmuth, Thüringer Bach Collegium. Juillet 2020. Livret en allemand et anglais (paroles de l’oratorio et de la cantate en allemand, non traduit). TT 61’12 + 37’38. 2 CDs Capriccio C5425

Schweitzer naquit trois ans après Haydn, mourut quatre ans avant Mozart et se rattache au Classicisme germanique. La production qu’on lui connaît est essentiellement vocale, pour le théâtre : une cinquantaine de mélodrames, et aussi de l’opéra, dont Alceste qui passe pour un des premiers Singspiele en langue allemande ; on en trouve plusieurs enregistrements, chez les labels Marco Polo (2001) et Berlin Classics (2008). De Cobourg à Weimar puis enfin Gotha, sa carrière évolua en Allemagne centrale. Notamment à la Cour d’Ernst Friedrich von Sachsen-Hildburghausen (1727-1780) qui rédigea le livret de l’oratorio pascal Die Auferstehung Christi (1776).

L’œuvre débute par un glorieux Alléluia choral (enrôlant trompettes et timbales) qui reviendra en numéro 8 pour finalement se mêler à l’image de la Jérusalem céleste, unissant rédemption et résurrection. Récitatifs, arias, chorals montrent l’habileté de Schweitzer à marier ces divers genres. Les moments d’espoir, de réconfort, principalement confiés à la soprano (Mirella Hagen, délicieuse dans l’émouvant Wie ruhig), alternent avec d’inquiétantes visions d’apocalypses, dont la turbulence s’exprime dans une scénographie de tempête et de furie, remuée par le chanteur basse. Ainsi Der Tod würgt selbst et l’incendiaire So wie der Skorpion galvanisés par Tobias Berndt qui brille aussi dans l'impulsif Der Held, vor dem die Himmel selbst, et la bravoure de So wie des Donners ernste Stimme. Moins sollicité par la partition, le ténor se voit attribuer quelques pages agréables dont Stephan Scherpe fait son miel, ainsi dans le O Heiland moiré par les bassons. L’occasion de souligner combien Schweitzer est adroit orchestrateur : les évocatrices scansions de contrebasse (ici Christian Bergmann) dans le numéro 14, les gracieux pizzicati dans le numéro 7. Et un non moindre mélodiste qui nous a donné envie de réentendre cet oratorio ici enregistré pour la première fois. L’équipe chorale se limite à un par partie et contribue à la svelte conduite du Collegium dont les subtils archets semblent toutefois sur la réserve, par exemple dans les âcres tourbillons de Wo bin Ich. Même si la délicate interprétation n’optimise pas le potentiel dramatique et l’impetus des passages enlevés, qui peuvent appeler foucades moins timides et un apparat plus spectaculaire, musicalité et acribie ne faiblissent jamais.

Le programme offre deux autres opus, couvrant ainsi la quasi-totalité du corpus sacré conçu par Schweitzer. La brève cantate Lobet, ihr Knechte des Herren illustre le Psaume 113. Récitatif et aria de basse sont encadrés par les interventions du chœur et chantent la nature régénérée sous la pluie bienfaisante, allégorie de la gratitude envers le divin qui nous éveille à une vie nouvelle. Sucrée et capiteuse, l’étonnante Missa Brevis date des ultimes années de ce compositeur qui y fait fructifier son expérience opératique, mais aussi révèle son art de polyphoniste et sa connaissance du Stile antico, exaltés en une singulière individualité qu’Helen Geyer (spécialiste de ce répertoire) nous détaille dans sa notice. Ne manquez pas le frémissant Laudamus Te, et le Cum sancto spiritu ébaudi par les cors ! L’interprétation de ce second CD est encore plus convaincante que le premier, du moins les deux œuvres s’épargnent la hargne et l’âpreté de l’oratorio et conviennent idéalement aux interprètes : souplesse de l’orchestre minutieux, textures chatoyantes et fondues, et un chœur de solistes (Julia Gromball, Anna-Sophia Backhaus, Tobias Schäfer, Oliver Luhn) vraiment investi. Sous la houlette de Gernot Süßmuth, voici un double-album qu’on écoute avec autant d’intérêt que de plaisir.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9-10

Christophe Steyne

 

 

 

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