Bach et la foi, lumière de la vie, célébrés par Philippe Herreweghe 

par

Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Meins Lebens Licht : Cantate BWV 45 Es ist dir gesagt, Mensch, was gut ist. Motet BWV 118 O Jesu Christ, mein’s Leben Licht . Cantate BWV 198. Laß, Fürstin, laß noch einen Strahl, Trauerode. Dorothee Mields, soprano ; Alex Potter, alto ; Thomas Hobbs, ténor ; Peter Kooij, basse ; Collegium Vocale Gent, direction Philippe Herreweghe. 2020. Notice en anglais, en français, en allemand et en néerlandais. Textes en allemand avec traduction dans les trois langues. 58.35. PHI LPH035.

Créée à Leipzig le 11 août 1726, la Cantate BWV 45 du huitième dimanche de la Trinité, Es ist dir gesagt, Mensch, was gut ist (« Il t’a été dit, homme, où est le bien »), fait référence au Livre de Michée de l’Ancien Testament, ainsi qu’au Sermon sur la Montagne où il est question de se garder des faux prophètes et de se soumettre à la volonté du Seigneur. C’est ce même esprit que l’on trouve dans les paroles du prophète Michée, contemporain d’Isaïe et d’Osée. Après l’introduction instrumentale, le chœur insiste sur les quatre premiers mots Es ist dir gesagt avant un impressionnant développement particulièrement travaillé. Le ténor (Thomas Hobbs, fluide et respectueux) expose son humilité soumise qui le mènera au bonheur céleste, tandis que l’alto (Alex Potter), sur un accompagnement de flûte aux accents légers et éthérés, confirme la nécessité de l’obéissance à Dieu. La basse qui symbolise le Christ, c’est Peter Kooij dont l’expérience de Bach est profonde ; il met toute la qualité de son timbre au service des paroles qui éloignent ceux qui se revendiquent du Seigneur alors qu’ils ont été « iniques ». Philippe Herreweghe mène cette cantate aux côtés moralisateurs et « guérisseurs de l’âme » avec un sens clair de l’architecture qui demeure toujours retenue et souple.

Le superbe Motet BWV 118 qui donne son titre au CD, considéré longtemps comme un fragment de cantate et souvent classé pour cette raison dans le corpus des cantates, a été vraisemblablement écrit à l’occasion du décès d’un personnage important de Leipzig, sans doute vers 1736. C’est la deuxième version que l’on entend ici ; la notice explique que Bach remplace le cornet et les trombones par des cordes, conserve les « litui » et ajoute des hautbois et un basson (ad libitum) pour doubler les parties vocales. Le texte est une prière au Seigneur afin qu’il ouvre les portes du ciel lorsque le croyant aura terminé son parcours terrestre. La conscience du péché qui accable l’homme de douleur est traduite par les chœurs dans une atmosphère de sérénité face à la certitude de l’avenir éternel. C’est profondément émouvant et d’une belle ferveur.

Ferveur que l’on retrouve dans la Cantate BWV 198, une ode funèbre de 1727 pour l’épouse d’Auguste Ier, Duc de Saxe, la Princesse Christiane Eberhardine dont l’existence fut compliquée par les infidélités de son mari et le refus de la dame, qui mena une vie solitaire, de renoncer à sa foi luthérienne face à son conjoint devenu catholique pour monter sur le trône de Pologne. Cette noble figure jouissait d’une grande popularité, et l’émotion de son décès et de la perte qu’il entraîna se retrouvent dans une composition pleine de confiance qui s’ouvre par un chœur et qui mélange luths, violes de gambes, hautbois d’amour et flûtes traversières. La ferveur en devient imagée, et fait penser plus à un contexte de reconnaissance pour un être aimé qu’à de la désolation. La soprano Dorothee Mields, autre complice de Herreweghe, est touchante dans l’aria Verstummt, verstummt, ihr holden Saite, où elle invite « les cordes suaves » à faire silence face à la détresse ressentie. Alex Potter souligne de façon vibrante la dignité de l’héroïne dans l’art du savoir-mourir, avant que le chœur ne lui fasse écho quant à la grandeur de l’en-allée, modèle de toutes les nobles femmes. L’accompagnement est varié et toujours coloré (flûtes, hautbois, violons) pour ce moment de respect. Moment que le ténor Thomas Hobbs prolonge sur un ton méditatif pour transfigurer la défunte. Afin de porter à son comble l’éloge, la basse entamera un récitatif pour exalter les villes et les campagnes qui, elles aussi, pleurent la Princesse, tout en soulignant la grandeur d’âme de celle qui n’attachait que peu de prix aux honneurs. Peter Kooij, avec son intériorité sensible, ouvre la porte au chœur final qui assure que la postérité n’oubliera jamais. Cette superbe cantate au grand potentiel émotionnel a déjà été enregistrée en 1988 pour Harmonia Mundi par Herreweghe. Peter Kooij était dans l’équipe d’alors ; sa prestation d’aujourd’hui ne souffre d’aucune ride, elle est tout aussi éloquente. 

Philippe Herreweghe n’est pas l’homme des excès, il est plutôt porteur de la retenue, de l’introspection et, surtout, de la ferveur, qualités que chaque auditeur appréciera à l’aulne de sa propre sensibilité face à ces trois pages à l’inspiration si haute. Dans le présent CD, la réussite est au rendez-vous, avec des solistes profonds, des chœurs maîtrisés, un ensemble instrumental tout aussi vivant que varié, et un Herreweghe convaincant, qui met bien au cœur du programme cette « lumière de la vie » que son titre suggère.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix    

 

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