La Passion selon Saint Matthieu de Bach par MacLeod : Le temps de l’imploration

par

Jean-Sébastien BACH (1685-1750) : Passion selon Saint Matthieu. Werner Güra (l’Evangéliste), Dorothee Mields et Aleksandra Lewandowksa, sopranos ; Alex Potter et Marine Fribourg, altos ; Thomas Hobbs et Valerio Contaldo, ténors ; Matthews Brook, basse ; Gli Angeli Genève, basse et direction Stephan MacLeod. 2020. Livret en français et en anglais. Textes en allemand et en français. 160.04. Claves 50-3012/13 (2 CD). 

A l’approche de cette Pâques si particulière qui ne donnera pas lieu aux concerts traditionnels au cours desquels diverses Passions sont jouées, pourquoi ne pas se faire plaisir à domicile en découvrant une nouvelle version de la Saint-Matthieu de Bach ? Stephan MacLeod, le maître du jeu, est un familier des cantates du Cantor. Né en 1971 à Genève, il étudie le violon et le piano avant de se consacrer au chant dans sa ville natale, puis à Cologne et à Lausanne, où il enseigne aujourd’hui. Il a collaboré avec Reinhard Goebel et Musica Antiqua Köln et s’est produit sous la baguette de Philippe Herreweghe, Jordi Savall, Masaaki Suzuki, Michel Corboz et bien d’autres ; on le retrouve dans une centaine d’enregistrements. En 2005, tenté par la direction d’orchestre, il fonde l’ensemble à géométrie variable Gli Angeli Genève, avec lequel il travaille sur instruments d’époque et qui compte à son actif quelques gravures de musique sacrée. En cette année 2020, il propose sa vision de la Passion selon Saint-Matthieu de Bach, entouré d’une équipe qui a fait ses preuves et qui est de grande qualité, non seulement au niveau du chant, mais aussi pour la partie instrumentale : la violoniste Leila Schayegh (qui a sorti récemment un magnifique CD Leclair), le claveciniste Bertrand Cuiller ou l’organiste Maude Gratton sont du nombre, mais il faudrait citer chaque partenaire.

On ne reviendra pas ici sur la genèse ni sur le contenu de la partition. Mais on signalera que pour cet enregistrement, effectué en avril 2019 au Studio Ernest-Ansermet à Genève après une série de concerts publics, la disposition physique des chanteurs et de l’effectif instrumental a été la suivante, ainsi que le montre une photographie en couleurs : en un grand cercle, ce qui permet, selon une note du chef d’orchestre de « nous voir jouer, chanter, vibrer, respirer et réagir », mais aussi le dialogue et le ressenti des « drames et des puissants affects qui jalonnent l’œuvre sans relâche ». Cette conception se traduit par une atmosphère équilibrée et homogène, d’une grande simplicité et au cours de laquelle chaque protagoniste est à l’écoute attentive des autres. Le plateau vocal est très réussi. Ce n’est pas la première fois que Werner Güra tient le rôle de l’Evangéliste. Né en 1964, ce chanteur, qui fait aussi carrière sur les scènes d’’opéra et dans le domaine du lied, avait chanté des arias dans la version de la Saint-Matthieu de Philippe Herreweghe avec le Collegium Vocale en 1998 (Ian Bostridge était l’Evangéliste), mais en 2012, il incarnait déjà avec René Jacobs pour Harmonia Mundi le même personnage qu’aujourd’hui. Cette fois encore, Güra fait la démonstration de son engagement sensible, avec des aigus clairs et précis. 

Chaque fois qu’une Passion est enregistrée, c’est une manière de la concevoir qui est mise en avant. Celle de Stephan MacLeod est limpide et allégée, dans un climat sans ostentation, où l’équilibre est la doctrine de base, dans une atmosphère d’effacement devant le texte, auquel le chef d’orchestre tient en priorité. Les autres chanteurs sont au diapason de cette manière de procéder, qu’il s’agisse des sopranos Dorothee Mields, récemment entendue dans la Passion selon Saint-Jean de Herreweghe chez PHI, ou d’Aleksandra Lewandowska ou du contreténor Alex Potter, pour ne citer qu’eux ; le tout se déroule dans un véritable esprit de partage, sans exaltation, mais plutôt avec cette éloquence commune qui englobe la dimension spirituelle et la réflexion mutuelle sur la tragédie qui se déroule. Des moments intenses sont là pour le rappeler, comme l’arrestation du Christ, mais là aussi la compassion et la douleur retenue dominent. On pourrait parler d’une version d’imploration, qui fait la place la plus grande à l’humilité et à l’économie de moyens. La qualité sonore, peut-être due à la manière physique dont Stephan MacLeod a décidé de disposer ses troupes, est d’une belle transparence. Dans ce contexte, les instrumentistes et les chœurs jouent eux aussi la carte de l’empathie collective ; c’est à la fois touchant et révélateur de ce projet dont le résultat est une vraie réussite.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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