Bartók de démonstration avec Karina Canellakis
Béla Bartók (1881-1945) : 4 pièces pour orchestre, SZ 51 (Op.12) ; Concerto pour orchestre, SZ.116. Netherlands Radio Philharmonic Orchestra, Karina Canellakis. 2022. Livret en anglais. 63’15’’. Pentatone. PTC 5187 027.
La cheffe d’orchestre américaine Karina Canellakis est l’une des baguettes les plus en vue de notre époque. Directrice musicale de l’Orchestre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, elle est également cheffe invitée privilégiée du London Philharmonic Orchestra et Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin (RSB). On la retrouve également au pupitre d’autres grandes phalanges comme l’Orchestre de Paris où elle a ses habitudes annuelles. Charismatique et excellente communicante, sa carrière ne peut que se développer à grande vitesse. Illustration des mutations du marché du disque, elle fait seulement, malgré sa notoriété, ses débuts phonographiques de cheffe symphonique au pupitre de son orchestre néerlandais alors que de nombreuses vidéos sont accessibles sur les plateformes numériques dont deux deux dans ce Concerto pour orchestre de Bartók.
Le choix est téméraire car même si la musique est virtuose et taillée pour des baguettes démonstratives, ces oeuvres sont marquées par les plus grands chefs dans ce répertoire et le couplage reprend à l’identique celui d’un légendaire album de Pierre Boulez au pupitre du Chicago Symphony Orchestra (DGG), enregistrement d’un niveau orchestral et technique vertigineux. Même si le Concerto pour orchestre de Bartók est l’un des chevaux de bataille de la cheffe, la barre est placée très haut.
Sorte de petite symphonie de Bartók avec leurs quatres mouvements relativement égaux de durées, les 4 pièces pour orchestre sont une partition bien trop négligée : la puissance motorique de l'orchestre s’illustre tout comme une beauté des textures. Karina Canellakis livre une interprétation solide, construite et contrastée. La phalange batave est un bloc solide et techniquement affûté. Cette lecture est bien supérieure à celle de James Conlon à Rotterdam (Erato) mais n’a pas la portée des lectures de Michael Gielen (SWR) et de Pierre Boulez (Sony ou DGG) portées par une acuité intellectuelle rare.
Le Concerto pour orchestre qui suit est servi par une baguette virtuose et assez unilatérale dans une optique objective qui joue sur la virtuosité des pupitres et la motorique d’’ensemble. Le résultat est solide même si la cheffe a parfois tendance à surdiriger pour insister sur des contrastes et des transitions. C’est surtout frappant dans le troisième mouvement “Elegia. Andante, non troppo”, trop intentioné et manquant de naturel ou dans le “Finale. Pesante - Presto” qui en perd un petit peu son allant. L’orchestre se présente encore comme un bloc compact et granitique dans l'acoustique assez mate du Muziekcentrum van de Omroep Hilversum.
On retient un disque carte de visite très réussi. Si on doit le classer parmi les récentes interprétations du Concerto pour orchestre, on est dans la fourchette haute derrière les lectures de Paavo Jarvi (Telarc), Iván Fischer (Philips), Marin Alsop (Naxos) mais devant celles de Susanna Mälkki (BIS) et Jakub Hrůša (Pentatone). Pour le même couplage que ce disque, la gravure du Pierre Boulez reste insurpassée et certainement insurpassable.
Son : 9 Notices : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Pierre-Jean Tribot