Bartók, musiques pour cordes et percussion, sous la baguette de Pietari Inkinen
Béla Bartók (1881-1945) : Divertimento pour cordes Sz. 113 ; Musique pour cordes, percussion et célesta Sz. 106. Œuvres pour piano arrangées pour ensemble de percussions par Bernhard Wulff (1948-). Pietari Inkinen, Orchestre de la Deutsche Radio Philharmonie. Septembre 2020 & avril 2021. Livret en allemand et anglais. TT 70’09. SWR»Music SWR 19110CD
À la tête de l’orchestre radiophonique qu’il dirige depuis 2017 et avec lequel il a déjà enregistré des symphonies de Dvořák et Prokofiev pour le même label, Pietari Inkinen nous arrive ici avec un album consacré au compositeur hongrois. Les deux œuvres principales au programme sont séparées par trois pièces pour percussion seule, arrangées par Bernhard Wulff, professeur à l’Université de Freiburg : l’emblématique Allegro barbaro, un extrait de Mikrokosmos (tiré des six danses en rythme bulgare) et Sons de la nuit de la Suite En plein air Sz. 81. Modernité féroce, folklore des Balkans, ambiances nocturnes : trois fondamentaux ingrédients de l’univers bartokien se succèdent dans ces morceaux, exécutés avec habileté et précision.
Dès la scansion initiale du Divertimento, on goûtera une grasse pâte de cordes qui gomme les aspérités au profit d’un style qui ne semble pas dégagé du post-romantisme. Les contrastes pourraient s’affuter, au contraire c’est une diction chaleureuse et émotive qui dynamise la lecture du maestro finlandais, à l’instar de Constantin Silvestri (HMV). La recette confortable fonctionne-t-elle pour aviver les angoisses du Molto adagio ? L’anxiolytique épaisseur des pupitres allemands lutte contre le malaise attendu. À tout prendre, le néoclassicisme de l’Orpheus Chamber Orchestra (DG) semblait moins édulcorant. Pour le conclusif Allegro assai, le regard acéré d’Antal Doráti (Mercury), Pierre Boulez (CBS) ou Georg Solti (Decca) s’avère préférablement déstabilisant pour qui souhaite ne pas s’en tenir à une écoute cossue. Bilan : une version réductrice quoique luxueuse, magnifiée par une captation charnue.
La Musique pour cordes, percussion et célesta est proposée sous des atours tout aussi plantureux, qui permettent de ciseler toute la suggestivité de l’Andante tranquillo (on appréciera la qualité du legato dès l’apparition des violons II à 1’23), mais nivellent les climats de l’Allegro qu’on souhaiterait plus versatiles : le leggero après la Grande Pause (1’20), les scherzando, les accents brutaux coulent avec une régularité qui hélas homogénéise le ton et contrecarre le relief dramatique. Ievgueni Mravinski à Leningrad (Melodiya, février 1965) reste ici irremplaçable pour sa transe quasiment terroriste. On retrouve en tout cas une lecture soignée pour l’Adagio, qui campe chaque étape avec éloquence : les doucereuses paroles sur rictus en glissando du più andante (2’17), les visions surnaturelles du trémolo d’archets sur vagues d’arpèges (3’34) dont le crescendo s’avère remarquablement géré. Après deux mouvements lents particulièrement réussis, la lecture de l’Allegro molto renoue hélas avec une rhétorique qui convainc diversement : la fugitive section centrale (2’51-) en stringendo vers le presto strepitoso manifeste une urgence singulièrement excitante, alors qu’ailleurs l’élan populaire s’ébroue avec davantage de science que de spontanéité. Malgré une direction lucide et analytique, on ne déplore toutefois aucune sécheresse dans la réalisation.
Globalement, ce témoignage rappelle souvent Antal Doráti à Detroit (Decca, novembre 1983), dont l’acuité était parfois la proie d’un transport trop opulent. Au sein d’une abondante discographie, cette proposition demeure bienvenue, même si dans l’absolu on peut rester fidèle au charisme de Leonard Bernstein à New York (CBS, mars 1961) ou à trois cardinales gravures sous les ors de Chicago : Rafael Kubelik (Mercury, avril 1951), Fritz Reiner (RCA, décembre 1958), voire James Levine (DG, juin 1989), superficiel mais incontestablement efficace.
Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8 à 9
Christophe Steyne