Bayreuth, Parsifal 1955 : la marque indélébile de Knappertsbusch
Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal, opéra en trois actes. Ramón Vinay (Parsifal), Martha Mödl (Kundry), Ludwig Weber (Gurnemanz), Gustav Neidlinger (Klingsor), Dietrich Fischer-Dieskau (Amfortas), Hermann Uhde (Titurel), etc. ; Chœurs et Orchestre du Festival de Bayreuth, direction Hans Knappertsbusch. 1955. Notice en allemand et en anglais. Pas de livret. 248’ 45’’. Un coffret de 4 CD Profil Hänssler PH23002.
Entre 1951, année où les pèlerins de Bayreuth purent à nouveau gravir la Colline verte, et 1964, l’immense chef d’orchestre que fut Hans Knappertsbusch (1888-1965) a dirigé près d’une centaine de représentations officielles d’opéras de Wagner (Meistersinger, Fliegende Holländer et Ring), un peu plus de la moitié (55, sauf erreur) étant consacrée au seul Parsifal. A une exception près pour ce dernier : en 1953, Clemens Krauss a pris la place, car Knappertsbusch, personnalité forte et déterminée, avait une allergie pour la mise en scène dépouillée de Wieland Wagner et n’admettait pas l’absence de la colombe prévue dans la scène finale. Il se fit porter pâle. Krauss étant décédé à Mexico en mai 1954 et la colombe ayant fait sa réapparition par un tour de passe-passe pour rassurer le chef réticent, Knappertsbusch reprit la baguette pour une décennie. Si ses versions de 1951 et de 1962 ont été souvent vantées à juste titre et figurent parmi les sommets de la discographie, les prestations des autres années ont bien été documentées par le disque. Mais il manquait un maillon pour 1955 ; le voici, avec la représentation du 16 août de cette année-là, où le chef dirigea Parsifal à quatre reprises.
Ce soir-là, la distribution est prestigieuse. Martha Mödl, qui incarne depuis 1951 une Kundry qui se révèle ambivalente, entre charme et envoûtement, affiche toujours de vaillants aigus tout en s’affirmant dans les graves. De légères stridences apparaissent peut-être fugacement après cinq ans de haut niveau dans le rôle, mais l’investissement dans le texte et dans la diction est toujours glorieux et l’expressivité demeure intacte. André Tubeuf a écrit un jour à son sujet qu’elle était sauvage et suave, osant des consonnes d’une pénétration inouïe et des raucités sensuelles. Kundry pour tout un siècle, Martha Mödl, ajoutait Tubeuf. On souscrit. A ses côtés, Ramón Vinay campe un Parsifal d’une forte présence dramatique, après l’incomparable Windgassen (de 1951 à 1954). Vinay, qui a partagé avec ce dernier le rôle-titre sous Krauss en 1953 et en sera encore chargé en 1956 et en 1957, offre au personnage une dignité empreinte de noblesse. En Titurel, on trouve Hermann Uhde, qui est là depuis la réouverture du Festival. Comme toujours, ce baryton, qui mourra dix ans plus tard sur scène à Copenhague, fait la démonstration de son engagement. La basse Ludwig Weber, Gurnemanz depuis 1951, fait belle figure en doyen des chevaliers du Graal. Gustav Neidlinger, voix de bronze, est le magicien Klingsor depuis l’année précédente. Ce baryton-basse souple et puissant le sera encore en 1956, et il tiendra divers rôles à Bayreuth jusque dans la décennie 1970. Dans le personnage d’Amfortas, on découvre un tout jeune Dietrich Fischer-Dieskau, qui a été Wolfram dans Tannhäuser l’année précédente et succède à Hans Hotter, présent en 1953 et en 1954. Le trentenaire fait étalage d’un timbre superbe, auréolé de riches couleurs. Ce plateau forme une équipe homogène, complétée par un choix judicieux de rôles secondaires, confiés à des valeurs sûres comme Josef Traxel en chevalier du Graal, Gerhard Stolze en premier écuyer ou Ilse Hollweg en fille-fleur. Quant aux chœurs préparés au cordeau par Wilhelm Pitz, ils sont, comme toujours, à la hauteur de l’attente.
Qu’en est-il de la direction de Knappertsbusch, souvent considérée comme lente (remarque à recadrer quand on compare avec d’autres minutages) ? Qu’elle sert toujours l’agogique de l’âme, avec un mélange de grandiose et d’humilité dans l’architecture des sons. Les tempi apparaissent avoir peu évolué depuis 1951, avec la perception d’une tendance à plus de fluidité ; ils conservent cette incontournable part de subjugation (d’aucuns diront d’emphase) qui permet aux voix de se déployer sans efforts et de faire valoir leurs beautés respectives. Dans le présent enregistrement en public, qui a été soigneusement retravaillé, elles ont, sur le plan de la reproduction sonore, la prédominance de la proximité et de la clarté. L’orchestre est moins bien servi à ce niveau-là ; on ressent cependant toute la ferveur et l’inspiration qui l’envahissent sous la baguette inébranlable de Hans Knappertsbusch. Le système électronique mis en place par le compositeur Oskar Sala (1910-2002) pour faire sonner les cloches du Graal se révèle impressionnant.
Les jusqu’au-boutistes wagnériens ne manqueront pas d’ajouter ce remarquable jalon du spectacle scénique sacré qu’est Parsifal à leur collection sans doute déjà bien fournie.
Son : 5 Notice : 7 Répertoire : 10 Interprétation : 9 ,5
Jean Lacroix