Les sept paroles de Christ sur la croix version piano seul par Nicolas Stavy
Profondément curieux, le pianiste Nicolas Stavy est un dénicheur infatigable de partitions rares. Après des œuvres de Tichtchenko et deux inédits de Fauré (qu’il a gravés en CD), il a présenté, le 27 juillet au cloître de l’Abbaye de Silvacane, dans le cadre du Festival international de piano La Roque d’Anthéron, une version inédite pour piano seul des Sept dernière Paroles du Christ en Croix de Haydn.
On connaît des Sept Paroles quatre versions : d’abord une version pour quatuor à cordes, la plus répandue et la plus exécutée, puis celles pour orchestre et enfin un oratorio. En revanche, la partition pour piano solo n’est quasiment pas connue et très peu de pianistes ont déjà abordé d’œuvre, y compris les plus aguerris dans la période classique.
Or, Nicolas Stavy a pris connaissance d’une édition française, en l’occurrence de Pleyel (Ignace Pleyel a étudié auprès de Haydn à Eisenstadt et les deux hommes nouèrent une amitié), qui a été « retrouvée » à Saint-Domingue, en République Dominicaine. Il contacte Paul Badura-Skoda pour plus de détails. Très intrigué par cette version, celui-ci effectue des recherches à Vienne et trouve une partition manuscrite inachevée d’époque, qui fut probablement réalisée à partir du quatuor à cordes par un compositeur dont on ne connaît pas (encore) l’identité. Ce manuscrit fut achevé, puis corrigé et validé par Haydn lui-même pour la publication.
Nicolas Stavy joue donc cette partition de Saint-Domingue éditée par Pleyel. Il a eu la très bonne idée de l’associer à Von der Wiegen bis zum Grabe (Du berceau jusqu’à la tombe) S. 107 de Liszt (1881) qu’il présente d’abord. Ce jour-là, l’orage a éclaté après quelques jours de canicule intense, et juste au moment où le récital a commencé, une forte pluie tombe dans la cour du cloître, à cordes épaisses notamment crachées par des gargouilles. La première pièce « Le Berceau », très calme, demande un grand silence mais le pianiste n’a de choix que de forcer quelque peu le volume pour que la musique surpasse les bruits de dehors. La pièce suivante, « Le combat pour la vie » est un véritable combat pianistique que Nicolas Stavy livre avec un formidable engagement, et il s’en sort vanqueur ! Il exprime dans « La Tombe » paix et repos à travers des pianos pleins de douceur.
Vient ensuite le fameux Haydn. Son interprétation est marquée par une belle sonorité expressive qui correspond à ses mouvements lents. Après une introduction vigoureuse dont le son fait transparaître l’interrogation du sort du Christ, Nicolas Stavy nous initie à un parcours infiniment humain. Dans un tempo modéré et toujours juste, sans aucune précipitation, chaque mouvement respire, aspire à un tendre espoir. Son jeu est extrêmement soigné, dans un ton tantôt solennel tantôt apaisant. Dans « Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis » et « Femme, voici ton fils, et toi, voici ta mère » règne le sentiment d’assurance et de sérénité, alors que dans « J’ai soif », on ressent presque une souffrance physique dans les notes. Le traitement des voix auquel Nicolas Stavy procède ici évoque à l’évidence celui du quatuor, donc des cordes, mais son approche est essentiellement pianistique. Il explore cet aspect plus que jamais dans l’épilogue « Terremoto » (tremblement de terre), dans un caractère dramatique qui achève un parcours spirituel. La nature joue son rôle en accord avec la musique, puisque la pluie cesse à ce moment-là, et lorsque la musique s’est tue, les chants d’oiseaux l’ont remplacée. On vit ainsi un instant magique parfaitement mis en scène par les éléments, comme souvent ce qui se produit en ce lieu unique.
Photo © Renaud Alouche
Victoria Okada