Beethoven et Janáček, au cœur du « projet Kreutzer » de l’ensemble The Knights
The Kreutzer Project. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour violon et piano no 9 en la Op. 47 [arrgmt Colin Jacobsen]. Leoš Janáček (1854-1928) : Quatuor à cordes no 1 [arrgmt Eric Jacobsen & Michael P. Atkinson]. Colin Jacobsen (*1978) : Kreutzings. Anna Clyne (*1980) : Shorthand. Colin Jacobsen, violon. Karen Ouzounian, violoncelle. Emily Daggett Smith, violon. Mario Gotoh, alto. Eric Jacobsen, violoncelle. Logan Coale, contrebasse. The Knights. Livret en anglais, allemand, français. Février & juillet 2020. TT 75’06. Avie AV2555
« Le projet nous a donné la possibilité d’explorer les liens qui relient les Sonates Kreutzer de Beethoven et [sic] de Janáček, et de placer leur identité novatrice dans un contexte contemporain grâce à la création de nouvelles œuvres et de nouveaux arrangements par des membres de The Knights et de la compositrice Anna Clyne » indique le livret. Malgré une quarantaine d’opéras, une vingtaine de concertos pour violons, un recueil d’Études et Caprices à vocation pédagogique, malgré une brillante carrière de soliste, la postérité de Rodolphe Kreutzer (1766-1831) relève surtout de la Sonate que lui dédia Beethoven… et que ce virtuose de l’archet dédaigna pourtant !
Parmi les arrangements que cet opus 47 suscita à l’époque, l’éditeur Simrock publia une mouture pour quintette à cordes en 1832, et Carl Czerny proposa une parure pour piano à quatre mains. On sait que le Maître de Bonn réprimanda ce dernier lorsque celui-ci, lors d’une exécution de son Quintette avec vents, imposa à la partition quelques enjolivures et prouesses de la partie pianistique. « Beethoven lui-même n'était pas totalement opposé aux arrangements de ses compositions, à condition qu'il s'agisse de ses propres arrangements ou qu'il ait directement approuvé leur création. » avertit Matthew Oswin dans son mémoire pour la Massey University and Victoria University of Wellington (Beethoven's ‘Kreutzer’ Sonata : Nineteenth-century Art of Arrangement–One Piece, Three Ways, -2013, page 5). Avis aux téméraires ! Une passionnante analyse comparée, qui laisse d’autant regretter que le livret du présent CD reste succinct quant au processus appliqué par Colin Jacobsen dans ce Kreutzer concerto qui transforme l’opus 47 en dialogue entre violon et orchestre.
On peut estimer que le caractère conflictuel du Presto se trouve un peu édulcoré, quand la réplique orchestrale tend à diluer le corps à corps original avec le clavier. Les variations de l’Andante perdent de leur intimisme, au profit d’un charme galant. La malice échevelée du Finale s’en sort plutôt bien. Le Quatuor du compositeur tchèque, déjà coloré et savoureux par nature, se prête encore mieux à une expansion pour cordes et vents, qui le pare de textures particulièrement riches et suggestives. Même si l’on perd un peu de l’acuité de l’écriture à fleur de peau, parfois douloureuse, le schéma émotionnel est préservé, avec l’appoint d’une pertinente percussion (la cavalcade de caisse claire dans le Più mosso conclusif).
Dirigé par les frères Colin et Eric Jacobsen, l’ensemble américain The Knights reste ici fidèle à son ambition de décloisonner les genres et le rapport au public. Cet album ne manquera pas d’intéresser les amateurs des deux chefs d’œuvre au programme, non moins respectables sous ce nouvel habit singulièrement attrayant. Et capté par une plantureuse prise de son. Les deux incursions au milieu du disque (Kreutzings et Shorthand) font fructifier cet univers, et cultivent la référence littéraire -celle du roman de Léon Tolstoï, bien sûr.
Christophe Steyne
Son : 9 – Livret : 7 – Répertoire & Interprétation : 8,5
Tags : Colin Jacobsen – Karen Ouzounian – Emily Daggett Smith – Mario Gotoh – Eric Jacobsen – Logan Coale – The Knights