Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra
Le Budapest Festival Orchestra (BFO), fondé par Iván Fischer, entame sa quarantième saison. La phalange hongroise se produira sous la baguette de son fondateur mais aussi avec des chefs d'orchestre et des solistes tels que Lahav Shani, Paavo Järvi, Gérard Korsten, Yefim Bronfman, Anna Vinnitskaya et Veronika Eberle. Iván Fischer a accordé un entretien exclusif à notre collègue Dávid Zsoldos du média hongrois Papageno (membre du jury des ICMA). Lors de cet entretien, il aborde son parcours avec son orchestre, mais aussi la manière de faire s'il commençait à monter un orchestre aujourd'hui.
Vous souvenez-vous de la sonorité de l'orchestre du festival lors de sa première saison ?
Parfois, je travaille avec des orchestres de jeunes et mes souvenirs me reviennent, et je me rends compte que c'est ainsi que sonnait le BFO dans les premières années. L'enthousiasme de la jeunesse a quelque chose de charmant et de captivant, mais en même temps, bien sûr, il est indiscipliné et parfois irrépressiblement rapide. La plus grande différence réside peut-être dans la manière dont nous gérons le temps. À l'époque, l'orchestre était comme un véhicule à moteur turbo, ou un cheval de course, il aurait été comme au galop tout le temps. Aujourd'hui, il est comme un cheval sensible, qui détecte et réagit à chaque mouvement et lit dans les esprits.
Dans quelle mesure les séances de travail locales prévalent-elles encore dans une scène musicale qui s'internationalise de plus en plus ? Peut-on entendre l'école hongroise de cordes, mondialement connue, dans le son du BFO ?
Je pense que oui. Bien qu'il y ait une différence significative entre l'école de violon de Transylvanie et la tradition de Budapest, le BFO est une combinaison des deux. Et n'oublions pas que notre école de violon est liée à l'école russe, créée à Saint-Pétersbourg par Lipót Auer. De nombreux professeurs de musique -Loránd Fenyves, Zoltán Székely, János Starker, et d'autres- ont emmené l'expérience de cette école jusqu'en Amérique. L'école hongroise des cordes est encore plus clairement audible ici, mais le fossé se rétrécit.
Quels sont les solistes et les chefs invités qui ont eu la plus grande influence sur le développement de l'orchestre ?
Au cours des 40 années d'existence du BFO, les visites de quelques artistes invités ont laissé une marque particulièrement profonde. J'aimerais commencer la liste par Sándor Végh, qui a pratiquement ouvert les yeux d'une génération d'instrumentistes à cordes. Parmi les solistes, Zoltán Kocsis, György Pauk, András Schiff, Leonidas Kavakos, et parmi les chanteurs Christine Brewer et László Polgár ont eu la plus grande influence sur nos musiciens. Mais Gábor Takács-Nagy, Jordi Savall, Reinhard Goebel et bien d'autres ont joué un rôle important dans notre développement.
Comment le répertoire de l'orchestre a-t-il évolué en quatre décennies et quels sont les éléments qui l'ont le plus influencé ?
La sélection du répertoire comporte en fait deux volets. D'une part, l'objectif est de cultiver en permanence les chefs-d'œuvre de Bach, Mozart, Brahms, Mahler, Bartók et d'autres, de peaufiner les interprétations et d'offrir au public une interprétation de haute qualité du répertoire de base. L'autre volet est l'élargissement, que nous développons dans plusieurs directions. Nous sautons en arrière et en avant dans le temps, de sorte que nous jouons tantôt des œuvres de Monteverdi, tantôt des œuvres de Philip Glass. Mais il est également important de faire revivre des raretés : par exemple La Légende de Joseph de Richard Strauss ou l'opéra Der Kaiser von Atlantis de Viktor Ullmann m'ont profondément marqué. C'est nous qui construisons le répertoire, pas ceux qui nous invitent : ils sont généralement satisfaits du répertoire coloré du BFO.
En quatre décennies, le monde a changé autour de nous : le Mur de Berlin est tombé, la numérisation a modifié notre vie quotidienne et, l'année dernière, une guerre a éclaté dans notre voisinage. L'orchestre symphonique a été l'une des premières institutions importantes de l'embourgeoisement au 19e siècle et a survécu avec succès au 20e -mais quel sera son rôle au 21e ?
J'ajouterai le XVIIIe siècle, car c'est à cette époque que nos ancêtres, les orchestres de cour, sont apparus. Certains rois ou marquis s'entouraient d'artistes, et plus le souverain était important, plus il engageait d’instrumentistes. Plus tard, la bourgeoisie a hérité des orchestres de l'aristocratie et, bien sûr, à l'époque de Beethoven, il y avait une excitation révolutionnaire à jouer de la musique ensemble en grand nombre. Pour la bourgeoisie, l'orchestre était avant tout un moyen d'éducation, et les gens éduqués allaient aux concerts et à l'opéra. Aujourd'hui, dans une société sans classes, le rôle de l'éducation s'estompe, et la question est de savoir à quel type de demande un orchestre symphonique répondra à l'avenir. Je pense que nous avons besoin de réformes ; nous devons nous transformer pour pouvoir jouer le répertoire coloré qui est le langage d'aujourd'hui.
Nous connaissons des symbioses chef-orchestre importantes qui ont duré des décennies -Karajan à Berlin, Solti à Chicago- mais il est difficile d'imaginer l'Orchestre du Festival sans Iván Fischer. Si vous deviez nommer votre successeur, quelles qualités recherchez-vous chez lui ?
D'après la plupart des comparaisons avec mes confrères, je ne suis que troisième avec 40 ans de carrière -Zubin Mehta a dirigé l'Orchestre Philharmonique d'Israël pendant 53 ans, James Levine a été directeur musical du Metropolitan Opera pendant 41 ans. Il est même possible que quelqu'un ait été oublié dans ces énumérations ; des recherches devraient être effectuées à cet égard sur internet. Ce n'est pas à moi de trouver un successeur. Que quelqu'un d'autre vienne après moi, et c'est à ceux qui vivent avec l'orchestre d'en décider. Mais j'aimerais voir un successeur qui se sente responsable de la culture et de l'éducation de la société, qui ne considère pas la direction d'orchestre comme une carrière, qui ne cherche pas à se réaliser, mais qui considère la musique comme un merveilleux outil pour faire le bien.
Si vous deviez créer un orchestre aujourd'hui, que feriez-vous différemment ?
Dans 99 % des cas, je ferais les mêmes choses, avec seulement quelques changements. Par exemple, j'aboliraiq le concept de chef de pupitre et j'introduirais une rotation complète des instrumentistes. Ce serait difficile aujourd'hui, car nous y sommes tous trop habitués. Mais au moins, j'ai donné un conseil à mon successeur.
À propos de la quarantième saison du BFO :
Lors de la saison de rubis du BFO, Iván Fischer dirigera Pelléas et Mélisande de Debussy, ainsi que des œuvres de Liszt, Bartók, Rachmaninoff, et un nombre rafraîchissant de pièces de Brahms. Dans leur concert intitulé "Kompasszió" (Compassion), ils jouent alternativement des extraits de la Passion selon Saint Matthieu de Bach et des musiques de genres différents en réponse aux problèmes les plus urgents du monde. Un autre temps fort de la saison sera le Mandarin merveilleux de Bartók, avec la contribution de la compagnie de danse Éva Duda. Outre Iván Fischer, l'orchestre sera dirigé par des personnalités telles que Lahav Shani, Paavo Järvi et Gérard Korsten. Les solistes internationaux ne manqueront pas : Yefim Bronfman, Anna Vinnyickaja, Dejan Lazić et Dmitrij Siskin enchanteront le public au piano, deux superstars du violoncelle, Steven Isserlis et Kian Soltani, se produiront également sur scène, et Marc Bouchkov, Veronika Eberle et Rachel Podger montreront les couleurs infinies du violon. Le site du Budapest Festival Orchestra :www.bfz.hu
Propos recueillis par Dávid Zsoldos. Traduction et adaptation Crescendo-Magazine.
Crédits photographiques : Marco Borgrreve