Beethoven par Raphaël Pidoux et Tanguy de Williencourt, avec des instruments rares

par

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonates pour violoncelle et piano Op. 5 ; Variations sur « Bei Männern, welche Liebe fühlen » de « La Flûte enchantée » de Mozart, WoO 46 ; Camille Pleyel (1788-1855) & Charles-Nicolas Baudiot (1773-1849) : Nocturne pour piano et violoncelle concertants, « Souvenirs de La Flûte enchantée ». Raphaël Pidoux, violoncelle ; Tanguy de Williencourt, piano. 2021. 65’25. 1 CD harmonia mundi HMM 902410.

Ils sont annoncés dès la photo de couverture : les instruments utilisés sont mis en valeur dans cet enregistrement. Ils viennent du Musée national de la musique, lequel est du reste coproducteur, et sont bien entendu présentés dans la jaquette du CD.

Le violoncelle est l’œuvre de Pietro Guarneri, de Venise, qui appartient à la troisième génération des célèbres luthiers de Crémone. Fabriqué en 1734, il a eu une vie particulièrement tourmentée, entre vers xylophages et dégât des eaux. Après deux restaurations, la dernière ayant été réalisée à l’occasion de cet enregistrement, nous le retrouvons au plus près possible de son état d’origine. Ces outrages du temps en sont-ils la cause ? Raphaël Pidoux ne semble pas toujours parfaitement à l’aise sur le plan technique : petits accidents de justesse et attaques un peu dures viennent parfois perturber notre écoute. La sonorité de l’instrument n’en est pas moins superbe, chaleureuse, avec une présence très particulière. Et la musicalité de l’interprète n’est aucunement en cause.

Le piano vient de l’atelier Gebauhr, l’un des plus réputés en Allemagne au XIXe siècle, dont la production annuelle est allée jusqu'à 700 pianos. L’artisan de cette réussite est principalement Carl Julius Gebauhr, auteur vers 1855 de l’instrument de cet enregistrement. Sa mécanique, « avec des marteaux garnis de feutre et recouverts d’une fine couche de cuir », lui donne « un timbre soyeux dans le grave et le médium alors que l’aigu s’enrichit d’une sonorité cristalline ». Resté en bon état depuis, il n’a eu besoin que d’une légère restauration en 2015. Et, à l’écoute, nous sommes subjugués. La profondeur des basses et la douceur des aigus sont splendides. Jusqu'à sa fragilité, voilà un piano particulièrement émouvant, et l’on sent que Tanguy de Williencourt a trouvé en lui un bienvenu complice.

Dénommées exactement « Deux Grandes Sonates pour clavecin ou piano-forte avec un violoncelle obligé », l’Opus 5 de Beethoven marque une date dans l’histoire de cette formation, où le violoncelle apparaît pour la première fois comme un instrument soliste. L’absence de mouvement lent est compensée par de longues introductions Adagio sostenuto au début de chaque sonate. Raphaël Pidoux et Tanguy de Williencourt y font preuve d’une liberté et d’un sens rhapsodique d’une grande élégance. Ces introductions sont suivies d’un ample Allegro de forme sonate, dont nos interprètes se saisissent avec un engagement qui ne retombe jamais, sans toutefois tomber dans aucun excès mais, au contraire, avec un sens très raffiné des nuances et des phrasés. Les deux sonates se terminent par un Rondo dont l’alternance refrain-couplets permet de savoureux échanges entre les deux instruments ; Raphaël Pidoux et Tanguy de Williencourt ne s’en privent pas, s’amusant de ces jeux d’écriture, tout en se permettant d’impressionnants moments de tension dramatique, où la -relative- puissance de leurs instruments est exploitée au mieux.

Pour compléter le programme, les musiciens ont choisi l’un des deux cycles de variations que Beethoven a composés, pour cette formation, sur des thèmes de La Flûte enchantée de Mozart. Ici il s’agit du deuxième, sept variations sur le duo « Bei Männern welche Liebe fühlen ». Encore dans la veine des variations « décoratives », avec passage obligée par celle en mineur, héritées du XVIIIe siècle, elles ont tout le charme de cette forme si populaire. Et elles sont l’occasion pour nos interprètes de nous enchanter encore par leur musicalité.

Et pour finir, nous restons avec le chef-d'œuvre de Mozart, mais au lieu de l’autre cycle de Beethoven, nous avons droit à une curiosité : le Nocturne pour piano & violoncelle (ou violon) concertants, sous-titré « Souvenirs de La Flûte enchantée », écrit à quatre mains par le pianiste Camille Pleyel et le violoncelliste Charles-Nicolas Baudiot en 1825. Ici, le propos est de réunir plusieurs thèmes de l’opéra, reliés entre eux de façon plus ou moins subtile. L’intérêt musical est assez limité, mais entendre ces merveilleux thèmes est fort plaisant ; Raphaël Pidoux et Tanguy de Williencourt y brillent de tous les feux... et de ceux de leurs instruments.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Pierre Carrive

 

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